Snus et coutumes !

Pourquoi la Suède ne se contente-t-elle pas de la dérogation permanente accordée par l’UE en 1992 lors de son traité d’adhésion sur la commercialisation de son snus, cette poudre de tabac humidifiée que l’on glisse sous la lèvre supérieure, contre la gencive et qui, mélangée à la salive, délivre sa dose nicotinique ? Pour des raisons bassement mercantiles ? Quelles autres ?

En effet, le gouvernement suédois et Swedish Match, l’entreprise suédoise qui fabrique, entre autres, le snus, ne veulent pas en limiter la distribution à la Suède et la Norvège, mais bien à l’Europe entière (indépendamment du fait qu’elle enfume aussi l’Afrique du Sud et les États-Unis).

L’interdiction de la vente du snus en Europe remonte à 1992. Il est alors avancé que c’est une substance dont la consommation présente des risques néfastes pour la santé et entraîne une forte dépendance nicotinique, bref, que cette poudre n’est pas du chiqué. Extrêmement addictogène, elle ne sera pas commercialisée en Europe. Dont acte.

Après les directives de 2001 et 2003 sur les avertissements sanitaires des produits du tabac, il était temps pour la Commission européenne de se doter d’outils neufs pour modifier la législation en vigueur. Après moult volutes enfumées elle finit par se rouler un projet de nouvelle directive Tabac, certes un peu âpre, qui fait tousser les Suédois.

 La Commission propose en effet de reconduire l’interdiction à la Suède d’exporter son snus vers l’Europe, mais aussi d’interdire l’adjonction d’arômes caractérisants dans le snus (bergamote, réglisse, menthe verte, fraise des bois, citron vert, mangue, anis, sureau, baies de genièvres, etc.), véritables produits d’appel des marques, tout en augmentant la teneur en tabac du snus. Ce qui n’arrangent pas les affaires de Philipp Morris et de Swedish Match, coentreprise sur le coup, qui estiment que ces propositions verraient la disparition pure et simple de plus d’un tiers de leurs produits.

L’affaire a été en fait très mal ficelée par le gouvernement suédois et Swedish Match. Plutôt que de se satisfaire de leur dérogation et d’entasser des arguments contre le rejet de la nouvelle réglementation des composants entrant dans la fabrication du snus (si tant est qu’il y en ait !), leur ligne de conduite s’est résumée en un : « Touche pas à mon snus ! Ne vous mêlez pas de sa composition puisque vous ne voulez pas qu’on l’exporte en Europe ! »

Maria Larsson, la ministre suédoise de la Santé a même été, se mélangeant un brin les casquettes, jusqu’à défendre l’exportation du snus dans le reste de l’Europe au nom de l’égalité de traitement des pays producteurs de tabac (fumer la moquette n’est pas recommandé !) ! « La guerre est désormais déclarée », a-t-elle aussi glapi visiblement à court de rhétorique.
Son Premier ministre, Fredrik Reinfeldt, moins allumé, a calmé le jeu en déclarant qu’au moment où le prix Nobel de la Paix était attribué à l’Europe, il n’était pas de bon ton d’y déclarer une guerre… fut-elle fumeuse serait-on tenté d’ajouter !

En outre, l’histoire du commissaire européen en charge de la Santé et de la protection des consommateurs, le Maltais John Dalli qui démissionne de ses fonctions suite à des accusations de corruption un peu glauques, a fait un tabac qui fait désordre. Il n’aurait pas dénoncé une tentative de trafic d’influence visant à lever l’interdiction du snus suédois. Accusations portées au départ par Swedish Match, prétendant que le commissaire Dalli ou un autre Maltais aurait exigé 60 millions d’euros pour que le snus puisse être commercialisé en Europe ! Allumé, le pétard de la Dalligate ! Extorsion de fonds en règle ou bien corruption de haute volée ? Tabac moulu… tabac foutu !
John Dalli parti, un autre Maltais, Tonio Borg l’a remplacé. Malte à propos, il n’y a pas de fumée sans feu…

Il faudra attendre 2014 au plus tôt pour que les États membres et le Parlement européen approuvent la proposition. Dans l’intervalle, les adeptes du tabac à usage oral en Suède et en Norvège continueront de se coller les dosettes aux différents arômes sous la lèvre supérieure et à cracher leur jus de chique, Swedish Match poursuivra ses campagnes sur le bien fondé de snuser (il paraîtrait que la Commission européenne ait fait fi des arguments scientifiques du cigarettiers) et la ministre de la Santé essaiera encore et encore de faire son numéro d’équilibriste, d’enfumeur enfumé : défendre la santé le snus aux lèvres !

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