Vive la Suède: La Revue Presse Citron de Jean-Paul Pouron

LesRoisdeSuede

AOUT 2013

D’humeur justicière

Trop de justice, tue la justice ! Le droit suédois vient de l’apprendre à ses dépens. Jusqu’ici, en Suède, les fraudeurs fiscaux étaient non seulement condamnés à une amende, mais souvent aussi à une peine d’emprisonnement. La double peine était monnaie courante. Le principe ne bis in idem inconnu au bataillon.

Ce n’est pas la première fois que le droit suédois et le droit de l’Union tendent à s’appliquer différemment. Ainsi sur ces problèmes de fraudes fiscales, la question pour un pêcheur du nord de la Suède qui avait fait une fausse déclaration était de savoir si en plus de la sanction fiscale dont il avait écopée, des poursuites pénales pouvaient être engagées. Pour la justice suédoise, il n’y avait aucun problème vu que l’imposition d’une sanction fiscale et l’examen d’une responsabilité pénale pour les mêmes faits relèvent de procédures distinctes.

C’était sans compter sur le désir de justice d’un jeune magistrat du Parquet suédois. En effet, s’appuyant sur l’interdiction de la double peine de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales ainsi que la Chartre des droits fondamentaux de l’Union, le magistrat avait saisi la Cour de justice européenne qui a rendu son avis : on ne peut pas être poursuivi ou puni pénalement deux fois pour la même infraction. Transmis à la Cour suprême suédoise qui a aussitôt tranché en donnant tort aux juridictions qui n’ont pas respecté l’interdiction de la double peine.

Résultat : des centaines de « fraudeurs fiscaux » vont exiger l’annulation de leur condamnation et un dédommagement pour leur période de détention. Pour ceux qui sont actuellement enfermés au titre de la double peine, eh bien, ils vont sortir ! Tout ça va évidemment coûter très cher à l’État (à qui la faute ?) et, cerise sur le gâteau, la Cour suprême a décidé que cette jurisprudence européenne datant de février 2009, son arrêt s’appliquerait rétroactivement à toutes les condamnations prononcées depuis. J’imagine la tronche des responsables des impôts et des juges !

D’humeur aéroportée

Des personnalités suédoises, et non des moindres, voudraient changer le nom de l’aéroport international d’Arlanda pour lui subsister celui de Raoul Wallenberg. Pourquoi pas ! C’est vrai que les Suédois n’ont pas réellement fait grand-chose pour rendre hommage à Raoul Wallenberg, ce jeune diplomate suédois qui avait sauvé la vie à des centaines de juifs hongrois en 1944 à Budapest. Pour schématiser, ce n’est qu’après qu’Israël et les États-Unis ont fait Raoul Wallenberg citoyen d’honneur de leur pays que la Suède s’est réveillée.

Pour ce qui est des aéroports, il y a bien Charles de Gaulle, John F. Kennedy, Willy Brandt, Ben Gourion, Václav Havel, Léopold Senghor, etc., etc., alors allons-y pour Raoul Wallenberg. On s’était quand même pas mal habitués à Arlanda…

D’humeur décolonisatrice…

Célébrer le colonialisme de nos jours n’est, à l’évidence, pas spécialement politiquement correct. Pas pour les Suédois, qui ont « fêté » le 375e anniversaire de la présence suédoise sur le sol américain.

Le 29 mars 1638, les premiers colons suédois et finlandais débarquent de deux navires affrétés par les Suédois, le Kalmar Nyckel et le Fågel Grip qui ont jeté l’ancre dans l’estuaire du fleuve Delaware au lieudit Minquas Kill connu de nos jours sous le nom de Swedes’ Landing. Ils ont fait le voyage pour y fonder la Nouvelle-Suède. Ils doivent, en principe, y rester 17 ans. Il en ira évidemment autrement.

Ils s’installent donc, pas gênés, sur les terres des indiens Lenape et sur celles que revendiquent la Nouvelle-Néerlande et y bâtissent un fort, Fort Christina qui deviendra la ville de Wilmington dans l’État du Delaware. La Nouvelle-Suède sera intégrée à la Nouvelle-Néerlande en 1655, les Anglais récupèreront le tout un peu plus tard. De facto, l’empire colonial suédois a donc existé. Et ils en sont fiers, puisque cette année encore, le couple royal a fait le déplacement aux US of A pour célébrer « l’événement ». Ce n’est certes pas la première fois que la famille royale se rend au parc de Fort Christina au lieudit The Rocks à Wilmington pour honorer l’histoire coloniale du royaume.

En 1938, le prince héritier Gustav VI Adolf, accompagné du prince Bertil « célèbre » les 300 ans de la colonie. En 1988, les actuels souverains, Carl XVI Gustav et Silvia en commémorent les 350 ans. En 2003, c’est la princesse héritière Victoria qui s’y colle.

Et que trouve-t-on dans ce parc de Fort Christina, là où en principe ont débarqué les premiers colons suédois ? Une sculpture du suédois Carl Milles qui relate l’épopée coloniale suédoise : la traversée de l’Atlantique, l’achat de terres aux indiens Lenape, la vie de tous les jours dans les différents forts établis par les Suédois, les relations de bon voisinage avec les bons « sauvages » du cru, etc. Une inscription sur la sculpture peut cependant faire sursauter : « … et ainsi les Suédois apportèrent la civilisation dans la vallée du Delaware… » Déjà la phobie du modèle !?!

Et quasiment personne dans le royaume pour s’étonner de la place donnée à ce qu’il faut bien appeler le colonialisme suédois aux Amériques ? Personne pour évoquer l’exploitation, le racisme ? Bah, le colonialisme, ce sont les autres, ceux qui ont commis des exactions en Afrique… Les Suédois ne veulent entretenir que de bonnes relations politiques et culturelles, mais surtout commerciales avec les États-Unis.

Les Suédois ont un problème avec l’Histoire, leur histoire. Ils en ont une lecture extrêmement sélective et fragmentaire. Pourquoi parler des choses qui risquent de fâcher ? Autant les passer sous silence… Mais pour donner des leçons, ils ne sont pas les derniers. On se souvient de l’affaire de l’album de Tintin au Congo qu’un responsable culturel des bibliothèques de Suède avait fait retirer des présentoirs au prétexte qu’il était raciste, colonialiste et irrespectueux des Congolais. Et pendant ce temps-là la Suède célébrait son épisode colonial dans le Delaware !