Après une journée de parades, L’Hermione est donc partie vers les Etats-Unis. Elle sera de retour en France en août prochain (voir épisodes précédents ici et là). Bon vent !
Il y a tout juste 10 ans, en 2005, partait le Götheborg III, copie conforme d’un des fleurons de la marine marchande suédoise de 1743, pour son voyage inaugural vers les Indes. Et on a pu le voir à Brest, Rouen, La Rochelle et Nice… Dix ans plus tard les difficultés financières s’amoncellent sur le vaisseau suédois. L’Hermione pourrait profiter de son exemple pour ne pas répéter les mêmes erreurs.
Le 14 mars 1743, le vaisseau marchand Götheborg de la Compagnie suédoise des Indes orientales, « Ostindiska Kompaniet », quitte Göteborg, son port d’attache. Destination : Canton en Chine. C’est son troisième voyage vers l’Orient. Le trois-mâts contourne les Shetlands, l’Écosse et fait voile vers Cadix, première escale de son périple. Il y décharge du bois, du fer, du chanvre et du goudron pour y recharger cinq tonnes d’argent, métal extrêmement convoité en Chine.
Trois mois plus tard, le 28 août 1743, après avoir essuyé de violentes tempêtes dans l’océan Indien, le Götheborg accoste à Java. Les importants dégâts causés par les éléments nécessitent alors de longues réparations. Nonobstant la mousson, le voilier finit par repartir, affrontant des vents et de forts courants contraires, et sera contraint de faire demi-tour en pleine mer de Chine méridionale à la hauteur de l’archipel de Poulo Condore, plus exactement à la hauteur de l’île de Poulo Sapatu et d’attendre pendant huit longs mois à Java la prochaine mousson d’été.
Il s’ancre finalement dans le port de Canton en septembre 1744. On embarque alors de l’argentan (alliage de cuivre, nickel et zinc qui servait tout à la fois de ballast et que l’on utilisait pour l’orfèvrerie de pacotille), de la porcelaine, de la nacre, du papier, de la soie, du poivre, du thé, des épices (notamment une sorte de gingembre, le « gallingal » qui servait à parfumer le punch), du rotin, etc., etc., et on procède encore à un accastillage en règle pour affronter le voyage retour.
Le 10 janvier 1745, le navire lève l’ancre, de conserve avec un autre trois-mâts de la compagnie suédoise des Indes, le Riddarhuset. Les deux vaisseaux repassent le détroit de la Sonde et doublent le Cap de Bonne Espérance le 12 mai. De fortes tempêtes les obligeront à faire escale à Sainte Hélène pour radouber et s’avitailler. Le 6 septembre, les falaises de Douvres sont en vue.
Le 12 septembre 1745, le Götheborg, toutes voiles au vent, s’engage dans le fjord de Rivö, le chenal de l’entrée du port de Göteborg ; il est gouverné par Casper Mattsson, lamaneur du port. Que se passe-t-il à cet instant ? Inattention, geste criminel ou incompétence ? Le pilote échoue le bâtiment sur le haut-fond de Hunnebåden. Le vaisseau donne de la gîte et sombre très rapidement. Le naufrage ne fera aucune victime.
On récupérera les canons et une partie de la cargaison, le reste sera renfloué quelque 240 ans plus tard…
1984, Anders Wästfelt, un enthousiaste d’archéologie marine redécouvre l’épave du Götheborg.
De 1986 à 1992, plus de 1 000m² de fonds marins autour du haut-fond naufrageur seront ratissés par les plongeurs qui remonteront quelque neuf tonnes d’objets : vaisselle, porcelaines, faïence, lingots d’argentan, etc.
En 1990, naît l’idée de reconstruire à l’identique le vaisseau marchand originellement exécuté dans les chantiers navals Terra Nova de Stockholm en 1738 (aucun plan n’a été retrouvé).
Une association est créée en 1992, puis, plus tard, la ville de Göteborg met à disposition un radoub dans les anciens chantiers navals. Son nom : Terra Nova.
Les études et la mise en chantier démarrent. La quille, en chêne du Danemark assemblée par des coupes en sifflet, est mise sur cale en 1995, puis l’étrave, l’étambot, les couples de levée (66 en lamellé collé), les lisses, les barrots, les bordages, le pont (pin scandinave)…
Côté gréement on retient le sapin pour la mâture, de misaine, du grand mât et d’artimon ; 1860 m² de voiles en lin seront assemblées à l’ancienne, laizes après laizes ( beaupré, artimon, misaine, cacatois, foc, hunier, perroquet, grand voile, etc.), et des dizaines de kilomètres de cordages en chanvre seront cordelés. Plus de mille poulies et réas en orme et en gayac (bois très dur de Saint-Domingue) seront exécutés, copies conformes de ceux retrouvés lors des campagnes de plongée. Les maréchaux-ferrants forgeront quelque 70 000 clous et plus de 10 000 boulons et pattes d’attaches de toutes tailles.
Le 6 juin 2003, fête du drapeau en Suède, le Götheborg III, est mis à flot. Un lancement réussi, le navire bien amarré sur ses bers a parfaitement glissé sur son plan incliné.
C’est à la vitesse de deux nœuds que le Götheborg III a effectué le « voyage » de son chantier naval, Terra Nova, à l’Opéra de Göteborg où il fut amarré. Son premier capitaine, Peter Kaaling, s’est dit fin prêt pour le voyage inaugural qui aura lieu en automne 2005. Le bâtiment de quarante mètres de long qui déplacera 1 150 tonneaux peut désormais être accastillé et armé…
Le Götheborg III, version 1738 rectifiée troisième millénaire (classification Bureau Norsk Veritas, moteurs Volvo Penta, instruments de navigation modernes [radars, sondeurs électroniques, VHF, Decca, GPS], toilettes, cabines, etc.), lèvera alors l’ancre pour Shanghai pour une opération marketing dont les Suédois ont le secret ! Les villes de Göteborg et de Shanghai ne sont-elles pas jumelées ?
Une croisière de 18 à 23 mois qui conduira l’équipage et les représentants de l’industrie suédoise qui ont investi dans le projet (33 millions d’€) à Cadix, Recife, Le Cap, Fremantle, Jakarta, Canton et Shanghai, et retour par Hong Kong, Singapour, l’île Maurice, port Elizabeth, les dépendances de Sainte Hélène, les Açores, Londres et Göteborg.
C’est au rythme de 5 à 6 nœuds avec ses voiles (1 900 m²) ou de 7 à 8 nœuds avec ses deux Volvo Penta de 1 100 chevaux que le musée flottant Götheborg III, plate-forme de l’entreprenariat suédois parcourra les mers. Quatre-vingts hommes et femmes d’équipage prendront part à l’aventure entre les étapes, soit un total de 660 membres pour tout le périple. C’est la SOIC (Svenska OstIndiska Companiet AB) qui gère le projet et, comme l’indique son patron, Jörgen Gabrielson : « C’est face au vent que décollent les cerfs-volants ! » (cerf-volant = drakkar en suédois !)… tout un symbole !
À noter qu’il existe désormais un journal, « Ostindiska curiren », qui sort trois numéros l’an : www.ostindiskacuriren.se
D’un beau projet tout simple : la remise à flot d’un bâtiment de la marine marchande suédoise du XVIIIe siècle par une association de bénévoles, on est passé à une super entreprise menée par la ville de Göteborg et l’industrie suédoise qui dépasse largement le contexte de l’idée de départ, l’objectif étant désormais de vendre la Suède à la manière d’une régate commerciale.
Les initiateurs du projet ont d’ailleurs été remerciés. Il va s’en dire que l’auteur de ces lignes avait une franche préférence pour le plan initial… Aux dernières nouvelles, le parrainage connaîtrait quelques ratés, les sponsors se faisant un peu tirer l’oreille pour investir dans l’aventure ou préférant carrément mettre les voiles… La ville de Göteborg n’a plus l’intention d’être responsable du budget du Gotheborg III après 2015. Trop cher ! Et cherche désespérément des parrainages. Il devrait naviguer jusqu’en 2020, ensuite, il sera transformé en musée en même temps que la ville de Göteborg fêtera ses 400 ans d’existence en 2021.
Des visites guidées sont organisées. Des conférences y sont organisées et des croisières musclées (http://www.soic.se/european-tour-2015/etapper-2015/ ).
Jens Lengert, le gréeur suédois qui a travaillé sur les deux frégates le Götheborg et l’Hermione a peut-être la solution quand il dit : » Je rêve que “l’Hermione” navigue le plus possible, pendant des années. Qu’elle fasse des tours du monde, et qu’elle ne revienne que deux mois à Rochefort. Un bateau qui reste à quai est un bateau qui pourrit. Si “l’Hermione” navigue autour du monde, elle fera rayonner Rochefort et sera accueillie en héroïne quand elle rentrera au port. Mais penser qu’elle va pouvoir naviguer de temps en temps, en formant à chaque fois un équipage, c’est un peu idiot. Cela va être très difficile et très coûteux… »,
Un peu le problème actuel du Götheborg et qui risque d’être celui de l’Hermione dans dix ans.