Le décès de Mankell: la deuxième mort de Wallander!

L’éditeur suédois d’Henning Mankell, le célèbre auteur de polars décédé le 5 octobre dernier, a assuré qu’il s’opposerait à toute nouvelle utilisation des personnages qu’il a créés, dont le célèbre commissaire Kurt Wallander.mankells-wallander-ours
« Wallander a bel et bien disparu avec son auteur, Henning Mankell. Il est hors de question qu’il y ait d’autres livres avec Wallander », a assuré le Suédois Dan Israel, avec qui Mankell avait fondé, en 1991, la maison d’édition Leopard Förlag  pour la parution du premier opus « Meurtriers sans visage ». Il s’opposera ainsi à toute résurrection des personnages inventés par Mankell sous la plume d’autres auteurs, prenant ainsi le contre-pied de ce qui s’est passé avec les héros de Millénium, que l’auteur suédois David Lagercrantz vient de faire revivre, Millenium 4, Ce qui ne me tue pas (Actes Sud), en août dernier, plus de dix ans après la mort de leur créateur, Stieg Larsson.

M. Israel a assuré qu’il protégerait l’héritage littéraire de son associé et ami. « Rien ne pourra se passer sans mon assentiment », a-t-il déclaré à l’AFP. Selon lui, le dernier texte sur lequel Mankell travaillait avant sa mort et qu’il avait évoqué dans la presse suédoise, est resté à l’état de brouillon et n’est pas publiable. On parle d’un ultime Wallander que Mankell préparait pour les 25 ans de la création de son personnage en 2016.

Henning Mankell, qui vivait entre la Suède et le Mozambique, était l’un des auteurs phares de la littérature policière nordique. Outre ses 12 livres de la série Wallander, il avait écrit une trentaine d’ouvrages dont une douzaine pour enfants. Son œuvre, traduite en 35 langues, s’est vendue à 40 millions d’exemplaires dans le monde. « Sans lui, le roman policier nordique n’aurait pas eu autant d’écho à l’étranger (…). Mais il était beaucoup plus qu’un auteur de polars », a déclaré Dan Israel.

Wallander_author_Henning_Mankell_dies_aged_67.jpg3Avec Wallander, Mankell s’était inscrit dans le sillage d’auteurs scandinaves de polars, tels Maj Sjowall et Per Wahloo mais a affiné le genre, en donnant au « polar polaire » ses lettres de noblesse et a inspiré toute une nouvelle génération d’auteurs nordiques comme le norvégien Jo Nesbö, les Islandais Thorarinsson et Indridason ou bien encore ses compatriotes, les filles Camilla Läckberg, Asa Larsson (Meilleur policier suédois 2015)… et les garçons Ake Edwardson, Erik Axl Sund et même le célébrissime Stieg Larsson pour sa série Millenium… S’installant dans les paysages désolés du sud de la Suède, il a su jouer tant sur les territoires que les sentiments complexes de ses personnages, avec un regard fort sur la réalité sociale.

Wallander a été le personnage clé d’Hennig Mankell. Avec ce personnage, héros de douze de ses romans, l’écrivain suédois a créé un archétype : celui d’un commissaire en pays scandinave, solitaire, taciturne, moraliste, mélancolique, nostalgique….
On a souvent dit que Wallander etait le double de Mankell. C’est plutôt son contraire, son double inversé. S’ils sont nés la même année, en1948, s’ils ont vécu vingt deux ans ensemble de 1991 à 2013,  ils vivent carrément dans un autre monde, aux antipodes de leur génération….

Henning Mankell n’a cessé d’être de son temps, de s’engager, d’aller sur les terrains de ses causes (l’Afrique, la Palestine, Lampedusa… l’engagement politique, l’extrême droite, le théâtre, les jeunes, la lecture ),. Wallander est pour sa part englué dans une mélancolie atrabilaire et nostalgique qu’on peut imaginer intolérable à Mankell. «Il appartenait à la génération qui avait fini de grandir dans les années 60. Il n’avait jamais été impliqué dans un mouvement politique, n’avait jamais participé à une manifestation, n’avait jamais réellement compris l’enjeu de la guerre au Vietnam, pas plus qu’il ne s’était intéressé aux luttes de libération dans des pays qu’il aurait eu des difficultés à situer sur une carte. Il était ignorant» (l’Homme inquiet, 2010, Le Seuil Policiers).

Les 3 wallander

Les 3 Wallander; Rolf Lassgârd (haut), Kenneth Brannagh (gauche), Krister Henrikson (droite)

A la télévision, Wallander a pris les traits de Kenneth Brannagh. Malgré une forte présence et son air désenchanté, l’acteur britannique reste séduisant, ce qui ne colle pas à ce que le lecteur se fait de son héros. Il faut voir la série originale suédoise avec Christer Henrikson ou encore mieux Rolf Lassgärd qui joua les premiers Wallander, où l’on retrouve le vrai personnage de la série: commissaire suédois, solitaire, taciturne, bourru, nostalgique mélancolique… empêtré dans ses responsabilités et ses contradictions.

Henning Mankell se souvenait très bien de ce jour de mai 1989 où Kurt Wallander est né. « Je peux même retrouver, dans mon journal, la date exacte. Je voulais écrire sur les émigrants, la xénophobie, confiait-il au Monde des livres en 2010. Je me suis dit que le racisme était un peu comme une attitude criminelle, et que le roman policier était le décor idéal pour en parler. Mais pour cela, j’avais besoin d’un détective. » Sa première apparition a lieu dans Meurtriers sans visage (1991, paru en France en 1994), distingué par les Prix du meilleur roman policier suédois et scandinave.

Puis il le fait disparaître, 22 ans après, dans son ultime enquête l’Homme inquiet. « Il y a un temps pour vivre et un temps pour mourir » : cette formule, Kurt Wallander la répétera tout au long de sa carrière. Au terme de douze aventures, Mankell lui donne son congé. « Kurt Wallander est couché dans son lit et il pense à la mort », lit-on dans l’Homme Inquiet, la dernière enquête de Wallander (Seuil Policiers, 2010)

On peut se douter comment Henning Mankell a passé ses derniers mois, debout dans son lit, pensant à la mort mais surtout écrivant et continuant à toujours écrire… . Il avait annoncé sa maladie en janvier 2014. Il la savait incurable mais il pensait  qu’elle lui laisserait du temps. Il l’écrit dans son dernier livre paru en français en septembre 2014, Sable Mouvant, Fragments de ma vie (Le Seuil, 2014), : « en dépit des séances de chimiothérapie,… (me) sait en sursis…  (je) vis toutefois dans l’attente de nouveaux instants de grâce…. » C’est peut-être dans la mort que les deux faces inversées de l’Homme se sont retrouvées, l’une rongée par l’Alzheimer, l’autre vaincue par le cancer.

Mankell_SableMouvantFrancofil reviendra plus longuement dans un grand portrait d’Henning Mankell, francophone et francophile, dernier grand nom de la littérature scandinave, personnage emblématique de la relation Suède/France à travers:

  • Ce dernier livre paru en français l’automne dernier Sable Mouvant, Fragments de ma vie (Le Seuil, 2014) écrit après l’annonce de sa maladie. Pas une bio chronologique ou romancée  mais un voyage intérieur, existentiel de la solitude des forêts immenses du nord de la Suède à sa vie cosmopolite sur plusieurs continentsMankellparMankell
  • Mankell par Mankell: un Portrait, Le Seuil, 2013) de Kirsten Jacobsen, journaliste et biographe danoise réputée qui a approché Mankell en 2010, lui proposant de le suivre dans ses déplacements dans le monde (New Delhi, Davos, Jaïpur…), de l’observer, de l’écouter, et de converser avec lui pendant un an. Le résultat : un livre d’entretiens où Mankell se livre comme jamais auparavant…
  • Mankell, Intégrale Wallander, les 3 Opus  (Opus Seuil, 2010).

On lira également ses deux derniers entretiens de Mankell en langue française à Paris Match (2013) et à Libération (2014)

Droits Photos: Le Seuil et DR