A Tottori, on aurait pu se croire sur les dunes de Skagerrak, tout au nord de l’île du Jutland, au Danemark face à la mer du Nord et la Baltique… par temps de neige! Et un peu plus loin sur la route, dans les forêts finlandaises au bord d’un des mille lacs, ou bien encore sur les étendues désertes et sans fin de la Laponie suédoise, parfois sur les flancs abrupts des fjords norvégiens avec de petits villages de pêcheurs blottis tout en bas de la falaise… Pour le Guide Vert, c’est « la dune du Pilat en France »! Mais, non, nous sommes au Japon, dans le Japon profond! Tout près de là où, selon la légende du premier livre, tout aurait commencé et l’archipel se serait construit! Le berceau culturel de la civilisation nipponne.
Nous sommes dans la préfecture de Tottori, sur la côte d’Uradome, dans le géo-parc national de San-in Kaigan qui vient de rejoindre le Réseau mondial des géo-parcs classés par l’UNESCO, au centre-ouest de la plus grande île de l’archipel, face à la mer du Japon, dans le département le moins peuplé avec ses 500.000 habitants.
« Véritable conservatoire des traditions, cette région rurale à l’écart des grands axes de communication est restée sauvage et sous-peuplée. Généralement ignorée des circuits touristiques, elle regorge pourtant de paysages grandioses, de sites culturels captivants, d’activité de nature, d’onsen délicieux et d’anciennes citées féodales chargées d’histoire. » nous dit Kyosuke Sakata , le responsable du tourisme au département .
Et de nous montrer les dunes de Tottori, à 5km au nord de la ville.
Uniques au Japon, ces dunes de sable jaune et brun s’étendent sur 16 km le long de la côte et peuvent atteindre 2 kms de large par endroit. Les plus hautes mesurent jusqu’à 90m. « Elles furent crées, voici plusieurs dizaines de milliers d’années, par les sédiments charriés par la rivière Sendai toute proche que les courants marins ont repoussés vers le rivage. Leurs formes mouvantes et leurs jeux d’ombres et de lumière qu’elles dessinent au gré du vent évoquent les plus beaux paysages des déserts africains… » souligne le responsable du Centre de Recherche sur l’Agriculture en milieu aride abrité sur le site.
Nous y étions par un froid matin d’hiver! La neige tombée la nuit recouvrait les dunes d’un lourd manteau blanc balayé par des vents insensés. Un phénomène irréel ! « Il faut venir observer les dunes tôt le matin pour découvrir les formes étonnantes créées par le vent durant la nuit. Au printemps et à l’automne, la pluie laisse des nappes d’eau aux creux des cuvettes, telles de petits oasis… » continue l’ingénieur et de nous expliquer ces formations par un jeu d’ombres et de lumières dans son bac à sable (!), heureusement, à l’abri des éléments naturels, furieux ce matin-là !
En retrait du littoral, par temps clair et dégagé, on aurait pu apercevoir les plus grandes plantations d’échalotes du Japon.
« L’échalote est une spécialité de Tottori dont la culture est réalisée dans une terre sableuse très fine garantissant une chair très blanche et ferme et une texture croquante. Sa récolte a lieu sur une période très courte, de fin mai à début juin. L’ail noir est également l’un des délices de la région et réputé pour ses gousses très charnues et son parfum. Les purées d’ail et d’échalotes noires font parait-il les étoiles du grand chef Troisgros, entre autres, dans ses restaurants à Roanne (Loire, France) et à Tokyo… » aime à insister Taeko Kawasaki, la propriétaire d’un restaurant tout proche. Et nous pouvons témoigner du chef Danyel Couet qui a découvert les qualités de l’échalote noire japonaise pour ses restaurants de Stockholm…
Chizu à 30 kms au sud de Tottori.
Perchée à 300m d’altitude, près des sources de la rivière Sendai, cette petite bourgade forestière est un grand centre sylvicole. On peut y visiter la Maison Ishitani, une impressionnante demeure de 40 pièces, propriété d’un riche marchand du village. D’imposants piliers en bois de cèdre supportent la colossale charpente du toit tandis qu’à l’arrière se cache un ravissant jardin. Dans la rue principale, la brasserie de saké Suwai, qui date de 1859, pour déguster un saké à base de riz poli, léger et très parfumé…
A 40km à l’ouest de Tottori, le Mont Mitoku est depuis des siècles un lieu de culte protégé, connu pour la diversité de sa faune et de sa flore. Culminant à 899m, le mont Mitoku (le mont des Trois Vertus) est un ancien sanctuaire bouddhiste, lieu de formation des moines et au détour du rocher sur lequel se dresse le Mont, inaccessible par temps de neige, la silhouette encastrée du Nageiredo, temple bouddhiste construit au creux d’un précipice…. L’architecture du temple et caractéristique des années 1000. Trésor national, une action est en cours pour faire inscrire le site au Patrimoine mondial de l’Unesco.
« Au Mont Mitoku, on vient se purifier l’esprit. Aux sources chaudes de Misasa on vient se purifier le corps. » dit un proverbe local.
La station thermale de Misasa s’est peu à peu développée grâce aux pèlerins se rendant au Mont Mitoku. à quelques kms au sud de Tottori sur la route entre Kuroyashi et le Mont Mitoku. Cette bourgade est connue depuis près d’un millénaire pour ses sources chaudes supposées être des bains de jouvence en raison de leur forte teneur en radium… Le bain du bord de rivière, le « kawara-buro » gratuit et ouvert toute l’année est devenu le symbole de la station thermale.
« Misasa est une ville particulière par bien des côtés. Je pense que la culture thermale a eu une grande influence sur le caractère de la population.. On dit que les eaux de Misasa apaisent le corps et l’esprit, et c’est peut-être pour cela que la ville a une aura particulière. En plus de ses biens naturels (sources) et culturels (le temple Nageiredô au Mont Mitoku), c’est ce sentiment particulier que l’on ressent en visitant la ville qui fait sa force. Misasa est à la fois une petite ville typique de la campagne japonaise, mais est aussi très différente par ses atouts uniques… » nous confie Anthony Lieven, coordinateur français pour les relations internationales de la ville, en poste depuis quatre ans.
Car Misasa est jumelée avec Lamalou-Les-Bains (France, Hérault), station de cure thermale connue pour ses eaux riches en souffre et qui servent dans le traitement des pathologies rhumatismales. Des échanges entre les deux villes se font régulièrement sous les bons auspices de la Fondation Curie, Marie, double Prix Nobel de physique et chimie pour sa découverte du radium, métal dont est issu le gaz du radon.
C’est aussi cela le Japon profond et secret. A Tottori, entrons au Watanabe Art Museum qui possède une collection d’armes et d’armures de samouraï exceptionnelles, jamais sorties du musée…
Le musée, créé peu de temps après la fin de la Seconde Guerre mondiale, par le Dr Hajime Watanabe, possède un grand nombre d’armures, d’épées, de sabres et autres armes médiévales de samouraï, ainsi qu’un large éventail d’autres objets culturels . Peu de visiteurs viennent troubler la quiétude du lieu mais c’est un tort: on peut même revêtir son armure, très méticuleusement, se mettre dans la tête d’un shogun aux heures glorieuses des samouraï et se croire dans un film d’Akira Kurosawa. Comptez 20mn!
Le musée a fait paraître un livre en 2 volumes pour présenter le travail du Dr Watanabe et montrer des photos de sa fabuleuse collection.
Ce texte écrit par l’une des principales autorités du monde sur l’art samouraï , Trevor Absolon, documente la fantastique collection de casques et pièces d’armure, de masques samouraïs authentiques…, À la fin des années 1970, on a estimé que la collection personnelle du médecin contenait plus de 40.000 pièces uniques, y compris plusieurs milliers de pièces originales d’armes et d’armures de samurai , équipements et insignes connexes… The Watanabe Art Museum Samurai Armour Collection Volume 1: Kabuto & Mengu /Absolon, Trevor,2011.
La préfecture de Tottori est le royaume du manga au Japon.
C’est à Tottori qu’est né en 1947 Jiro Taniguchi, le mangaka le plus connu en France. Mais Tottori a produit bien d’autres auteurs célèbres, dont notamment Shigeru Mizuki (Kitaro le repoussant) et Gosho Aoyama (Détective Conan).
A une 40 kms de Tottori, la ville de Kurayoshi est la scène d’une grande partie de l’histoire de Quartier lointain, manga créé par Jirô Taniguchi .
Cet ouvrage a obtenu de nombreux prix au Japon et en France… au Festival d’Angoulême le Prix du scénario en 2003, le Prix du dessin en 2005, le prix de la meilleure bande dessinée japonaise en 2008. Il a été adapté au cinéma en 2010 et au théâtre en 2011
Les histoires de Taniguchi plus récentes traitent de thèmes universels comme la beauté de la nature, l’attachement à la famille, le retour en enfance ou ses relations avec ses animaux domestiques… et s’inspirent toujours de sa vie personnelle et des souvenirs de son enfance à Tottori
Jirō Taniguchi fut l’un des principaux invités du 42e festival international de la bande dessinée d’Angoulême en 2015. Et même s’il se dit lui-même surpris par l’intérêt que porte le public français à son travail, il sait qu’il y a un très large public : « Au Japon, souvent on trouve mes histoires trop sobres, trop littéraires, alors qu’en France je sens une attention très profonde à mon travail, notamment au texte. ». Taniguchi a écrit plus d’une centaine de mangas dapuis les années 60, a reçu près d’une cinquantaine de distinctions et médailles dont celle de Chevalier des Arts et des Lettres, remis par Frédéric Mitterrand, alors ministre de la Culture en 2011.
Gōshō Aoyama est un autre mangaka né, dans la préfecture de Tottori.
Il est notamment connu pour être le créateur du manga Détective Conan. Il a également conçu les personnages humains pour une série animée pour enfants Hamtaro. Il fut, il y a une dizaine d’années, le dessinateur de mangas le mieux payé du Japon .
Shigeru Mizuki est un peu le père de cette génération. Né en 1922, il est décédé en novembre dernier. Et même s’il vivait à Tokyo, il a passé toute son enfance à Sakaiminato, non loin de là, dans la préfecture de Tottori. Il fut l’un des grands fondateurs du manga d’horreur, se spécialisant dans les histoires de monstres et de fantômes japonais. Il est également connu pour ses récits portant sur la Seconde Guerre mondiale.
Sakaiminato, sa ville natale, située face à la mer du Japon, a su tirer profit du succès de l’enfant du pays. Désormais,120 statues de bronze à l’effigie de ses personnages bordent les 800 mètres de son avenue principale, rebaptisée la Route Shigeru Mizuki , et mène à un musée consacré au maître « Mémorial Shigeru Mizuki »). Ces attractions drainent près d’un million de touristes par an. Mizuki a reçu de nombreux prix, récompenses et distinctions pour ses œuvres, au Japon, aux Etats-Unis (prix Eisner) et également en France, le jury du festival de la bande dessinée d’Angoulême lui a attribué le prix du meilleur album pour NonNonBâ en 2007, et le prix patrimoine pour Opération mort en 2009…
« La préfecture a choisi d’utiliser le manga pour dynamiser la région à travers le projet baptisé « Tottori, royaume du manga » nous dit Shinzi Hirai, le gouverneur de la province… Et nous irons encore cette année à Japon Expo à Paris pour promouvoir le manga et notre région à l’international , une région riche en paysages naturels du Japon d’autrefois et attirante par la créativité de ses auteurs et dessinateurs…
Nous avons déjà de bonnes relations avec l’Europe, la France, l’Italie, l’ Allemagne, la Suède… et nous voulons mettre en avant nos ressources naturelles (sources d’eau chaudes…), notre authenticité, mélange de traditions et de modernité ( centre de recherche, Université des sciences de l’environnement de Tottori, notre géo-parc naturel…) et notre gastronomie ( les poires de Tottori qui ressemblent aux pommes, les crabes de Matsuba, les huîtres, les pastèques, les échalotes . ..) »: continue l’élu.
» Notre département est un exemple d’intégration du patrimoine japonais et du développement local. Nos éléments côtiers d’une grande beauté (dunes de sable, plages, stations de sources chaudes, ressources marines…)
permettent de créer une industrie touristique qui peut devenir l’un des piliers économiques de la région » termine Shinzi Hirai .
Rendez-vous est pris donc pour la prochaine édition de Japan Expo du 7 au 10 juillet prochain au Parc des Expositions de Paris-Nord-Villepinte
Dans le 4ème volet de notre reportage nous irons à Kyoto, « l’ancienne capitale impériale, 11 siècles durant, la ville aux 1600 temples bouddhistes, 400 sanctuaires shinto, 200 jardins classés… Kyoto regroupe près de 20% des Trésors nationaux japonais ainsi qu’une vingtaine de sites classés au Patrimoine mondial de l’humanité… »