La 70ème édition du Festival d’Avignon qui s’est achevée ce dimanche fut politique, populaire, exigeante et multiculturelle. «Je suis très fier de cette programmation qui représente les forces vives du théâtre actuel… Face à la multiplication des périls, il est évident qu’une politique culturelle forte est un atout et une richesse qu’il faut absolument préserver… » a pu dire Olivier Py, le directeur du Festival.
Et il rajoutait dans La Terrasse, le Journal du Festival: « … Et les questions politiques se renouvellent. Comment agir ? Comment peut-on résister à la montée des populismes et des nationalismes ? Comment faire face à l’impuissance politique ? Et le traitement de ces questions passe par des propositions très différentes, du théâtre de texte à des spectacles sans paroles en passant par des expressions plus esthétiques…. Je pense que le théâtre est un endroit où on peut se dire que tout n’est pas perdu … et qui permet de passer un moment pour réfléchir à l’art que nous voulons pour le monde ».
Avignon In et Off, c’est près de 1500 spectacles dans une centaine de lieux différents dans cette ville devenue théâtre du monde et se retrouver à Avignon dans le Vaucluse mais aussi à Orange (Chorégies), Aix en Provence (Opéra), Arles (Photo)… à La Rochelle (Francofolies) ou en Bretagne (Vieilles Charrues, Cornouailles), c’est à la fois goûter ensemble le plaisir et la découverte de la création artistique, faire front autour d’émotions et de réflexions et s’élever contre tous les fanatismes et les enfermements.
Alors bien sûr en ouverture pour cet anniversaire, Avignon a choisi la Comédie Française et le metteur en scène flamand Ivo van Hove (il a dirigé en novembre et décembre 2015, la comédie musicale Lazarus de David Bowie à New York) pour signer une adaptation du film de Luchino Visconti, les Damnés à la Cour d’honneur du Palais des Papes … Un emblématique spectacle politique qui reflète la montée du populisme en Allemagne dans les années 1930 et on ne peut éviter la comparaison avec le resurgissement actuel des populismes …
On a loupé Le Radeau de la Méduse de Thomas Jolly qui, après son marathon shakespearien de l’an dernier (12h de Henri VI et 5h de Richard III), interroge, cette année, la barbarie et la violence des adultes…
Mais nous avons vu Karamazov, une adaptation moderne du roman fleuve de Dostoïevski, par un jeune metteur en scène français Jean Bellorini.
« Pourquoi Dostoïevski ? Pourquoi l’homme a-t-il besoin de s’inventer Dieu pour vivre et s’élever ? Vous pouvez comprendre que ce thème est actuel » répond Bellorini. « C’est un hymne à la liberté qui résonne très fortement dans notre époque trouble actuelle. Et le jouer dans cet endroit (lieu mythique, perdu à 30 mns des remparts, entre cendres et diamants mais toujours aussi difficile d’accès de la Carrière de Boulbon…NDLR), c’est nous voir comme des petits êtres face à la falaise et l’immensité du monde… » continue le jeune dramaturge, par ailleurs directeur du Théâtre Gérard Philippe de Saint-Denis, près de Paris.
Nous avons applaudi à La Dictature du Cool du Chilien Marco Layera. Une critique puissante et explosive du règne des bobos (bohèmes-bourgeois), cette nouvelle catégorie socio-professionnelle, présente dans tous les pays, qui dénonce le pouvoir avant de s’en emparer tout en se donnant bonne conscience… « Le système nous permet d’être heureux même si on ne fait rien pour l’améliorer… De se plaindre de l’état du monde mais de ne rien faire pour qu’il bouge et on se rassure en consommant bio, faire des marches pour l’Afrique…ou payer son abonnement à Reporters dans Frontières…(NDLR)! « Pour refléter la réalité, il faut la transfigurer. Sur scène nous faisons apparaître des monstres dont on peut toutefois se dire qu’ils existent et qu’ils sont tout près de nous, et peut-être même en nous-même !! » insiste le metteur en scène chilien
A la Cour d’honneur du Palais des Papes nous avons vu Babel 7.16, la nouvelle version de la pièce conçue en 2010 par le franco-belge Damien Jalet et le flamand-marocain Sidi Larbi Cherkaoui . « C’est une pièce ambivalente qui parle d’un thème lourd mais le déjoue avec légèreté…Cette idée de remonter Babel est née après les attentats du 13 novembre à Paris et du 22 mars à Bruxelles pour lutter contre le repli identitaire. Nous sommes une sorte de petite humanité de 23 danseurs qui chacun amène sa langue –parlée et chorégraphique- car le mythe de Babel parle de la relation entre territoire et langage… C’est un sujet grave. Chacun défend sa propre langue que seule la danse peut unifier. .. » Un choc entre les corps et les mots avec ces cinq structures modernes et géométriques qui se balancent et se bousculent dans cette espace grandiose et historique de la Cour d’Honneur…
Alors à Avignon cette année, il y avait aussi des Baltes et des Nordiques et notamment le Lituanien Krystian Lupa qui a mis en scène la Place des Héros de Thomas Bernhard (très bien reçu par la critique et le public). A signaler aussi les deux spectacles de la Suédoise Sofia Jupither, une reprise en France de Tigern (la Tigresse) de la roumaine Carbunariu, créée en Suède en 2015 (pièce satirique sur la différence et l’étranger, qui relate la course initiatique d’une tigresse, échappée d’un zoo, à travers une ville moyenne européenne, à la rencontre de ses habitants !!) et la création de 20 novembre sur un texte de Lars Noren, s’inspirant d’un fait divers en Allemagne où, le 20 novembre 2006, un adolescent fait irruption dans son lycée avec une arme et blesse plusieurs élèves et professeurs… Funeste ressemblance avec la tuerie de Munich de ce 22 juillet 2016 (NDLR) !!
Comme on le voit donc une édition du Festival d’Avignon très liée à l’actualité qui pourrait peut-être nous empêcher de rêver mais qui nous permet, -on le souhaite (NDLR)-, d’entretenir le fol espoir de Jean Vilar son fondateur, il y a 70 ans, de changer les gens et le monde…
Des spectacles et des auteurs que l’on retrouvera, pour la plupart, cette prochaine saison automne/hiver à Paris comme à Stockholm. Nous vous en reparlerons (avec La Terrasse).
Photos: Christophe Raynaud de Lage/Festival d’Avignon
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