Olivier Truc voyage en terre inconnue !

Chaque année, le 6 Février, les pays nordiques fêtent la Journée Nationale Sami (Samenationaldagen). Cette journée est célébrée depuis 1993 en mémoire du premier congrès national Sami qui eut lieu le 6 février à Trondheim (Norvège) en 1917. Ce mois-ci fut donc fêté son centenaire avec drapeaux, hymnes et costumes ethniques. Autour de 40 000 Samis vivent en Norvège, 20 000 en Suède et 7 000 en Finlande à l’extrême nord de la péninsule scandinave. En outre, on estime que 2 000 vivent en Russie. Leur territoire est appelé Sápmi (Laponie) et c’est l’une des dernières contrées sauvages en Europe.

Cet hiver, une co-production franco-suédoise TV l’a mis en scène « Jour Polaire » (Midnattssol) mais elle n’a pas tenu ses promesses. Trop cliché, beaucoup de digressions, Intrigue pas assez resserrée. Duo d’enquêteurs dépassé par des histoires trop personnelles. Un suspense qui s’épuise…  Pourtant son démarrage fut percutant : un Français retrouvé empalé sur un hélicoptère dans un décor lunaire… Un « T.O. » ! Un Truc de Ouf !! Non ce n’était pas Truc Olivier !!! Quoiqu’à force de situer ses polars truffés de cadavres, d’oreilles tailladées, de vieux os, et de luttes ancestrales en terre lapone, l’ami sami risque de se faire des ennemis…

En tout cas depuis quelques années les romans policiers d’Olivier Truc, son tryptique (Le Dernier Lapon, Le Détroit du Loup et La Montagne Rouge dernier opus sorti en 2016 par les Editions Métailié) font référence dès qu’on parle de Laponie.

Loin des polars scandinaves traditionnels ( Stig Larsson, Henning Mankell, Camilla Läckberg, Asa Larsson, Jan Lapidus…et bien d’autres), le français Olivier Truc se risque au polar ethnologique avec ses romans policiers ancrés dans les terres boréales. Journaliste depuis une vingtaine d’année, basé à Stockholm, il pige pour quelques journaux français dont Le Monde et Le Point (très beau papier dans le Geo de ce mois-ci sur la Laponie bien sûr !) et qui a fait de cette région son terrain de jeu… Un dangereux terrain de jeu glaçant et glacé qu’il nous fait découvrir.

Le Dernier Lapon/4ème de couverture (sur Amazon.fr)
« Demain, à Kautokeino, en Laponie centrale, le soleil, disparu depuis quarante jours, va renaître entre 11 h 14 et 11 h 41. Demain, Klemet va redevenir un homme avec une ombre. Demain, le centre culturel compte exposer un tambour de chaman légué par un compagnon de Paul-Emile Victor. Mais dans la nuit, le tambour est volé et un meurtre est commis. Klemet et sa coéquipière Nina,.. »

Ça c’est le premier opus très bien ficelé. Sur fond de haines ancestrales, dans des paysages somptueux, s’affrontent tenants du respect des traditions et aventuriers affairistes. Le tout servi par une écriture efficace, rapide, simple et percutante à la fois. Pour un premier essai, ce fut un coup de maître. Le roman a d’ailleurs été récompensé par une vingtaine de Prix de Lecteurs dont celui du Quai des Polars et fut traduit dans une dizaine de langues.

Le Détroit du Loup/4ème de couverture (sur Amazon.fr)
« Le printemps dans le Grand Nord, une lumière qui obsède, une ombre qui ne vous lâche plus. À Hammerfest, petite ville de l’extrême nord de la Laponie, au bord de la mer de Barents, le futur Dubai de l’Arctique, tout serait parfait s’il n’y avait pas quelques éleveurs de rennes et la transhumance… Là, autour du détroit du Loup, des drames se nouent. Alors que des rennes traversent le détroit à la nage, un incident coûte la vie à un jeune éleveur. Peu après, le maire de Hammerfest est retrouvé mort près d’un rocher sacré. Et les morts étranges se succèdent…. »

Voilà pour ce 2ème volet. Même style direct et vigoureux. Mais nous n’avons pas été emballés par cette suite des aventures de la police des rennes. Les trop nombreuses pages consacrées aux mœurs lapons, aux discriminations qu’ils subissent (le premier nous en dit déjà beaucoup), aux liens anciens qui unissent tel ou tel personnage (le père et la mère de Nina) finissent par nuire au suivi de l’enquête. Beaucoup moins de magie et on peut reprocher à l’auteur d’utiliser les mêmes ficelles que pour son premier volet… Mais il les tire moins bien !

La Montagne Rouge/4ème de couverture (sur Amazon.fr)
« Enclos de la Montagne rouge, sud de la Laponie. Sous une pluie torrentielle, les éleveurs procèdent à l’abattage annuel de leurs rennes. Mais dans la boue, on retrouve des ossements humains. Oui est ce mort dont la tête a disparu ? Son âge va le mettre au centre d’un procès exceptionnel qui oppose forestiers suédois et éleveurs lapons à la Cour suprême de Stockholm : à qui appartiennent les terres ? A ceux qui ont les papiers ou à ceux qui peuvent prouver leur présence originelle ? Klemet et Nina, de la police des rennes, sont chargés de l’enquête… »

Ce troisième tome est troublant mais fastidieux, sa galerie de portraits est imposante mais complexe et si Olivier Truc a un certain talent pour nous raconter ses histoires entre suspense, émotion et même humour parfois, ses nombreuses digressions et son besoin pédagogique, didactique même de vouloir bien nous faire comprendre les tenants et les aboutissants de la cause qu’il ne se cache pas de défendre, alourdissent le récit et mettent en second plan l’action, l’enquête, le procès entre les propriétaires terriens et les éleveurs samis…

Un récit qui s’appuie pourtant sur une formidable documentation enrichie par ses multiples reportages dans ces régions. Les remerciements en fin de ce dernier opus témoignent de la qualité de ces recherches. Et Il faut apprécier l’impressionnant apport de connaissances que cette lecture constitue pour le lecteur, sur la thématique de l’intégration, des populations autochtones dans les pays scandinaves. Il faut donc le lire comme un vrai Précis sur la cause Sami. Un véritable Traité sur l’éternel combat des Samis, dernier peuple autochtone d’Europe, et la reconnaissance de leurs droits élémentaires. Un peu Histoire des Lapons pour les Nuls quand même! Et quid du polar!!

Olivier Truc se rêvait en grand correspondant de guerre. Mais c’est en « réfugié de l’amour » qu’il débarque en Suède (comme quelques-uns de ses confrères !!) au moment où le royaume fête deux siècles de paix !!
Pourtant il a su voir les conflits récurrents dans ces régions du nord de l’Europe que l’on présente trop souvent pour des modèles de société … Le passé peu reluisant de la Suède pendant la deuxième guerre mondiale qui éclaire l’action des personnages et le récit d’une lumière trouble… Le contexte géopolitique, les bouleversements géostratégiques et le défi environnemental : la prolifération des plateformes pétrolières, les recherches de gaz qui mettent en danger la loi de la nature, l’arrivée des scientifiques et l’afflux des touristes, les routes commerciales qui s’ouvrent grâce au réchauffement climatique…

En tout cas Olivier Truc connait bien les régions dont il parle. Ses livres ne sont pas des romans policiers. C’est le témoignage d’une civilisation qui disparaît. C’est son exploit que d’avoir su ainsi parler, raconter une contrée qui n’est pas la sienne et de la défendre presque comme un vrai lapon. Et, en cela, Truc est un excellent reporter en immersion permanente.
Il se voyait peut-être en Hemingway ou en Malraux mais avec cette plongée dans le Grand Nord ou plutôt cet envol vers le Septentrion, Olivier Truc pourrait nous faire penser à un Lucien Bodard ou un Joseph Kessel du Sapmi doublé d’un Jean Malaurie du polar polaire !

Il avait déjà écrit un premier roman, l’Imposteur, il en promet cinq sur sa Police des Rennes plus des « Historiques » et des « Sagas » toujours à partir de la Laponie devenue son pré-carré, sa terre d’enquêtes, ses scènes de guerre… En tout cas avec ses 1.500 pages et ses 3 premiers romans dont le premier a obtenu une vingtaine de Prix et été traduit dans une dizaine de langues et le 3ème qui est encore classé dans le Top 20 des meilleurs polars 2016 (Le Monde), Olivier Truc comme tout bon écrivain et journaliste n’évite pas les références à l’actualité. Ses romans résonnent de concert avec les questions de l’identité, des racines et des origines, celles des migrations et du vivre ensemble dans une société multiculturelle, du fantasme de certains pour la théorie du « grand remplacement »…

En cette année du centenaire de la fête nationale des Sames, il faut seulement rappeler que contrairement à la Norvège, la Suède refuse toujours de ratifier la convention de l’ONU reconnaissant aux Samis des droits en tant que peuple arborigène…. Comme on le voit, le Voyage en terre, un peu moins inconnue maintenant, risque de durer encore pas mal de temps pour Olivier Truc et tous ses lecteurs.

Crédits Photo: Editions Métailié et DR