
Après la Mythique Marrakech, Fès la Fascinante, la Royale Rabat et Oujda l’Orientale, nous sommes à Tanger la Tumultueuse, le port rebelle, la ville artiste qui donnait déjà le tourbillon au siècle dernier… « La tourterelle sur l’épaule de l’Afrique » comme disait Henri de Montherlant. Dans un second volet de ce reportage, nous irons à Tanger Med, son port, ce port du 21è siècle qui connecte le Maroc au monde entier .
Dans Jour de Silence à Tanger, l’écrivain marocain Tahar Ben Jelloun, Prix Goncourt écrit « Tanger la ville où l’Atlantique et Méditerranée se rencontrent, une ville faite de collines successives, enrobée de légendes, d’énigmes douces et insaisissables« . Nous avons tenté de les saisir.
Tanger, la Perle du Détroit de Gibraltar, est une ville située à la pointe Ouest du Rif au nord du Maroc dans la région appelée Tanger-Tétouan-Al Hoceima. Avec son million d’habitants , Tanger est la 3ème ville du royaume (après Casablanca et Fès) et sa principale porte sur l’Europe. Les 14 kilomètres du détroit de Gibraltar séparent ici les deux continents qu’Hercule, selon la légende, détacha l’un de l’autre… avant de se battre pour Tingis (l’ancien nom de Tanger), se frotter à Jupiter et Atlas pour finalement se reposer dans ces Grottes, suite de petites cavernes naturelles où la mer pénètre à marée haute, et dont l’ouverture est censée avoir la forme du continent africain à l’envers (il y a même un petit trou dans la roche pour figurer Madagascar on y a trouvé des vestiges préhistoriques..
Tanger a été aussi et ce, pendant plusieurs années, une ville internationale où plusieurs communautés distinctes se sont côtoyées à savoir les Britanniques, les Espagnols, les Marocains et les Allemands et quelques scandinaves. … et ce n’est qu’avec son indépendance, en 1956, que le pays ainsi retrouve sa ville.
Tanger possède actuellement le port marchand le plus important du Maroc, le plus grand port d’Afrique qui fête cette année ses 10 ans. (nous y reviendrons dans le prochain volet). Avec sa position géographique exceptionnelle, et stratégique, Tanger pendant longtemps était un lieu de convoitise où se sont succédé plusieurs civilisations et cultures.
Située dans la baie du même nom, ouverte sur l’extrémité occidentale du détroit de Gibraltar, à environ 14 kilomètres des côtes espagnoles, d’abord établie sur la colline de la kasbah, la ville s’est progressivement étendue sur les massifs la bordant à l’ouest en direction du cap Spartel et des Grottes d’Hercules, à une dizaine de km de Tanger, à l’extrémité nord-ouest du continent africain -c’est là que les eaux de la Mer Méditerranée et de l’Océan Atlantique se rejoignent offrant une vue panoramique sur le détroit de Gibraltar-, puis, à l’est, au long de la plage, en direction du cap Malabata et son phare donnant sur la Méditerranée.
Tanger a toujours été une terre d’accueil pour de nombreux artistes et intellectuels.
Eugène Delacroix y réalise des œuvres célèbres. Henri Matisse y vient après lui -sa chambre au « Grand Hôtel Villa de France » dans la vieille ville est toujours à visiter. Les copies de l’artiste sont accrochées dans chaque pièce!-. Il y peignit quelques-unes de ses plus belles toiles : Fenêtre à Tanger, Porte de la Casbah, Vue sur la baie de Tanger.. On dit même qu’il y rencontra le peintre suédois Anders Zorn et l’initia à l’aquarelle, à la lumière, aux jeux de reflets de la lumière sur l’eau dont il devint un maître….
L’écrivain américain Paul Bowles, l’auteur du Thé au Sahara parle de Tanger comme sa « Dream City ». Il y repose pour toujours! Bowles est l’auteur américano-tangérois par excellence.. Arrivé après la Seconde Guerre mondiale, il était un point de ralliement entre les auteurs et personnalités marocaines (Mohamed Choukri, Ahmed Yacoubi), américaines (Gertrude Stein, Tennessee Williams ou Francis Bacon),
Attirant dans son sillage, dans les années 50, William Burroughs, Allen Ginsberg et Jack Kerouac, Bob Dylan deviennent des habitués de la ville du Détroit faisant la réputation sulfureuse de cette ville de romanciers expatriés. Ceux qui deviendront les noms emblématiques de la Beat Generation, trouvent dans la ville de quoi nourrir leur dégoût du consumérisme et du puritanisme américains ainsi qu’une dose de liberté incomparable. C’est à la Villa Muniria, un petit hôtel du centre ville que Burroughs écrit Le Festin nu, son ouvrage le plus connu. Jack Kerouac (Sur la Route) y dormait à l’étage supérieur. Les Rolling Stones y ont passé des années de débauches dans les années 70…
Jean Genet, écrivain, poète et auteur dramatique français, grand connaisseur du Maroc, est passé de nombreuses fois à Tanger. Tennessee Williams, Truman Capote, écrivains américains y ont vécu à de multiples reprises…
Plus tard le réalisateur américain Jim Jarmusch y a tourné son film «Only Lovers Left Alive». Le cinéaste a évoqué le choix des villes de Detroit et de Tanger pour le tournage. A propos de Tanger, il souligne : «C‘est une de mes villes préférées au monde…Si Détroit peut bien incarner Adam, Tanger définit parfaitement Eve… c’est une ville magnifiquement ouverte, qui a vu passer les êtres les plus bizarres et que ça ne dérange pas. C’est une ville qui mixe des pratiques médiévales avec des choses modernes, des gens très traditionnels et d’autres qui ne le sont pas du tout, des gens de Tanger et d’autres de partout ailleurs…». Et l’actrice suédoise ingrid Bergman, venue faire des repérages à Tanger avec Humphrey Bogart pour Casablanca ne dit pas autre chose, dix ans après en tournant Stromboli de Rossellini « Comme sur mon volcan, je me suis sentie à Tanger, déchirée entre la tradition et la modernité » !
La Médina de Tanger avec son architecture imprégnée par les touches musulmanes et espagnols, est, selon certains l’une des plus belles du Maghreb, vraiment authentique, où chaque secteur est consacré à une activité particulière, les ébénistes et menuisiers, les tanneries, les petits commerces et les pâtisseries…. A voir aussi Le Musée de la Kasbah un ancien palais construit par le sultan en 1684 juste après le départ des Anglais, il se dresse sur la place de la Kasbah. Il a été récemment rénové et abrite un musée ainsi qu’un jardin andalou… Il suffit de franchir l’une des vieilles portes de la médina pour retrouver la Tanger éternelle.
Celle du Grand Socco magnifié par Joseph Kessel : une vaste place colorée par ses étals de fruits et poissons et la présence impassible de ses femmes drapées de leur fouta de tissu blanc et rouge. Il est 21 heures, les tables en terrasse commencent à se remplir « C’est le poumon culturel de la ville, un lieu convivial et de mixité », explique notre guide.
Délaissée sous le règne d’Hassan II, Tanger fut la première cité marocaine à être visitée par le roi Mohamed VI après son investiture (1999). Les Tangérois y ont vu un signe. Car ce Tanger-là n’a rien perdu de son charme d’antan. Il fête chaque année un Salon du Livre, un Festival consacré aux Musiques du Monde et un Festival international de Jazz… et continue d’attirer artistes et écrivains.
Certes, l’ambiance n’est plus celle des années d’après guerre. L’attirance des auteurs étrangers pour l’exotisme oriental est passée de mode. Mais la tradition survit, perpétuée par des écrivains européens comme Daniel Rondeau (Tanger, 1987 et Retour à Tanger, 1997) « cette ville où le climat est mauvais pour le cœur mais bon pour les passions….« . Surtout, la ville a fini par inspirer des écrivains de langue arabe.
Soixante ans plus tard, le rapport Nord-Sud est toujours aussi fort dans la ville. Mais il s’est inversé. Au temps de la colonisation, l’Europe regardait Tanger avec envie. Aujourd’hui, c’est Tanger qui rêve d’Europe… Au pied de l’impassible médina, dans la frénésie bétonnière du nouveau port, des milliers de candidats à l’émigration clandestine sont tentés par un passage vers l’autre rive.
Pourtant Mohammed VI aura tenu sa promesse : en l’espace de dix ans, des investissements colossaux ont été faits dans la ville et autour…
Les remparts de la Kasbah sont en train d’être restaurés. Ils protègent une vieille ville que parcourent nombre de touristes charmés par les antiques constructions blanches et les venelles qui vous conduisent sans crier gare face aux eaux de la Méditerranée. Cité mythique, racontée par de nombreux
écrivains et peintres, Tanger, la Bleue pour Alexandre Dumas, la Verte pour Paul Morand, la Blanche pour Pierre Loti, Tanger, la mariée du Nord pour tous les Tangerois…. est devenue le projet phare du règne de Mohammed VI et vit une renaissance.
Face à la Méditerranée, la corniche s’étend, cinq kms d’une blancheur minérale, des ascenseurs transparents ramènent à la surface les usagers des parkings souterrains.
A la tombée de la nuit, les Tangérois y viennent en famille pour profiter d’un climat encore agréable, de l’air du large face aux côtes espagnoles que l’on aperçoit au loin… Il y a seulement quelques années, l’endroit était surtout connu pour ses restaurants et ses cabarets aux fréquentations nocturnes sulfureuses.
Mais la réalisation la plus spectaculaire est la construction d’un port en eaux profondes – « Tanger Med », l’un des plus grands d’Afrique – adossé à une vaste zone franche industrielle où se trouve notamment l’usine Renault. Ouvert en 2007, le complexe portuaire fête cette année ses 10 ans et va encore s’étendre à l’horizon 2019, avec un « Tanger Med II » (à lire dans notre second volet). La prochaine bataille à mener : l’inscription de Tanger au patrimoine mondial de l’Unesco. Les démarches ne font que commencer.
Dans un troisième volet nous irons du côté de Tétouan, la troublante. La vieille ville est classée au patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 1997. Elle a gardé l’empreinte du protectorat espagnol. En témoignent l’architecture et l’art marqués par de fortes influences andalouses…. Et nous vous donnerons quelques bonnes adresses!
Crédits Photos: ONMT, DR, TMSA