The Prisoner, création de Peter Brook et Marie-Hélène Estienne. Jusqu’au 24 mars aux Bouffes du Nord à Paris, puis Amsterdam, Thonon-Les-Bains, Clermont-Ferrand (France), Londres,New Haven et New York (en fin d’année 2018).
Si Ingmar Bergman, dont on fête cette année le centenaire de la naissance (1918-2018), avait été fils d’un couple de juifs lituaniens, immigrés en Angleterre et non pas le troisième enfant d’un pasteur luthérien suédois, sévère, rigoureux et ambitieux, et s’il avait su voyager, il ne serait pas resté « prisonnier » dans son Théâtre Royal de Stockholm avant de mourir quelques centaines de kilomètres plus loin dans le théâtre qu’il s’était fait construire sur son île de Farö…
Et il se serait appelé Peter Brook…!! Les deux metteurs en scène, acteurs, réalisateurs et écrivains, le Britannique comme le Suédois sont de la même trempe, ont abordé les mêmes thèmes métaphysiques, psychologiques, introspection et comportement en proposant une oeuvre mêlant adaptations de pièces du grand répertoire international (Shakespeare, Dostoïevski,… ) et créations originales novatrices et en s’attachant leur troupe, une Compagnie d’acteurs et de techniciens…
Dans les années 70, Bergman est même venu un temps à Paris, suite à des démêlés avec le Trésor public suédois. Et sûr qu’il aurait pris la direction d’un grand théâtre mais la pression médiatique dont il y fait l’objet l’engage à changer ses plans et il s’installe finalement une dizaine d’années à Munich.
Depuis le milieu des années 1970, Brook et sa compagnie sont en résidence à Paris au Théâtre des Bouffes du Nord.
Brook lui s’est installé à Paris en 1970. En 1971, il découvre dans Paris, un théâtre à l’italienne sur le point d’être démoli : le Théâtre des Bouffes du Nord. Ayant le coup de foudre, Peter Brook s’y installe avec sa troupe. En 1974, le théâtre est rouvert avec succès. Laissant la salle telle qu’il l’a découverte, dans son dépouillement, il fait ajouter une imposante avant-scène semi-circulaire au même niveau que les gradins sur lesquels prend place le public du parterre, pour créer un rapport de proximité entre acteurs et spectateurs.
Depuis, cette salle de 500 places, au nord de Paris, devient une place importante de la création théâtrale européenne et le lieu où Peter Brook met en pratique et revendique sa théorie de « l’espace vide » au théâtre.
« L’espace vide » est un Essai sur la mise en scène, des Écrits (Le Seuil), qui livrent les ambitions du maître de théâtre sur sa conception de la scénographie : c’est en quelque sorte un retour à la source, à un dispositif plus simplifié, épuré…il décide de renoncer au décor pour travailler l’espace vide qu’il préconisera ultérieurement. Ainsi le spectacle repose essentiellement sur le comédien, les mouvements du corps réels et intuitifs de ce dernier. L’artiste iconoclaste a monté plus de 100 pièces développant sa théorie de mise en scène, qui laisse libre cours à l’imagination du public et qui est considérée comme une « bible » pour les amoureux du théâtre avant-gardiste. Bergman au Dramaten de Stockholm n’aurait pas renié à cette conception du théâtre
Depuis quelques saisons, Peter Brook n’a plus la responsabilité de la direction des Bouffes du Nord, mais on ne peut imaginer ce théâtre sans lui et il y revient chaque fois qu’il a à présenter une de ses œuvres.
Cette fois-ci, à 93 ans (ce 21 mars), le légendaire homme de théâtre y présente donc une nouvelle pièce inspirée d’un vieux voyage en Afghanistan. « The Prisoner » met en scène un jeune homme qui tue son père et doit subir un châtiment singulier : non pas croupir en prison, mais purger sa peine en faisant face à sa geôle. Peter Brook affirme que cette histoire vraie lui a été racontée en Afghanistan par un maître soufi qui avait suggéré à un juge une punition autre que l’incarcération. « Tout dépendait du fait que le jeune homme reconnaisse la nécessité d’être puni afin d’être purifié. Graduellement, en faisant face à la prison, il faisait face à ce qu’il était vraiment », explique Peter Brook.
Peter Brook et Ingmar Bergman ont toujours refusé de faire du théâtre engagé, préférant un théâtre qui invite à la réflexion ou à la spiritualité, et là encore comme Bergman (Saraband, Spöksonaten, La Sonate des spectres) et avant de tirer sa révérence, Brook interroge les questions existentielles et humaines qui le hantent encore : après la guerre, la mort, la justice, il explore la rédemption dans « The Prisoner« .
Crédits Photo: Bouffes du Nord, Simon Annan, DR