Le festival d’Avignon vient de boucler et avant la nouvelle saison théâtrale automne/hiver, nous voulions revenir sur deux spectacles que nous avons vu en début de mois à Paris, deux pièces sur l’Amour, une « Le Triomphe de l’Amour » de notre Marivaux national au Théâtre des Bouffes du Nord (ex-théâtre Molière), mise en scène par un sociétaire de la Comédie Française, Denis Podalydès et l’autre, sur l’échec de l’Amour, « Les Créanciers » du Suédois August Strindberg à la Comédie Française, la maison de Molière.
Et si l’on savait que Strindberg ne « marivaudait » pas souvent, on a pu noter que le dramaturge français du 18è pouvait être aussi féroce que son collègue suédois de la fin du 19è/début 20è!
Le Triomphe de l’Amour de Marivaux au Théâtre des Bouffes du Nord
Marivaux, journaliste, romancier, mais surtout dramaturge écrivit des comédies sur mesure et d’un ton nouveau, dans le langage « de la conversation ». Il révolutionne le genre de la comédie sentimentale, La Double Inconstance, mais surtout ses pièces devenues de grands classiques du répertoire : Le Jeu de l’amour et du hasard (1730) et Les Fausses Confidences (1737).
Le nom de Marivaux a donné naissance au verbe « marivauder » qui signifie « échanger des propos galants et raffinés ». Par extension a été créé le mot « marivaudage », et ce, de son vivant!
Mais le mot désigne aussi un style… Il créera même des mots nouveaux comme cette locution verbale qui nous paraît maintenant si courante, mais qui n’existait pas encore à l’époque, « tomber amoureux » (avant, on disait « se rendre amoureux »)… Voltaire disait de Marivaux qu’il « parlait de rien avec tout »!
Le Triomphe de l’amour est une comédie en trois actes et en prose. Cette pièce fondée, comme beaucoup d’autres de Marivaux, sur le travesti et la séduction, n’eut pas de succès lors de sa représentation initiale. Quand l’amour triomphe de la raison, ça fait mal…et ça ne plait pas à tout le monde. Un marivaudage n’a rien d’un simple badinage, et comme souvent à la fin des pièces du génial dramaturge, les personnages finissent épuisés, voire anéantis, pour avoir trop joué avec les cœurs et les âmes: l’histoire de la princesse Léonide qui, pour conquérir son prince se travestit en …homme puis en femme galante n’a pas séduit spontanément !
Denis Podalydès, qui mêle à l’envi théâtre et cinéma, en tant qu’acteur et auteur, offre une version vive et féroce de la pièce. L’amour triomphe, mais à quel prix..!!. Créé à Amiens en mai, puis présenté au Printemps des comédiens à Montpellier, le spectacle a trouvé son rythme de croisière avec une troupe énergique et homogène.
Les Créanciers d’August Strindberg au Studio de la Comédie-Française
Les Créanciers (Fordringsägare) est une tragi-comédie, d’August Strindberg écrite en suédois en 1888, la même année que Mademoiselle Julie (Fröken Julie). Cela correspond à l’époque de son divorce avec Frieda Uhl… où l’écrivain subit une période de trouble intérieur qui se termine par l’écriture d’un livre…. en français, Inferno !!
Le pitch : Un ex-mari (Gustaf) manipule le nouvel époux (Adolf) qui ne sait pas à qui il a affaire, le faisant mortellement douter de la fidélité de sa femme (Tekla). Créanciers est une double histoire d’amour qui se solde entre une femme romancière renommée et deux hommes follement épris d’elle. Il est question de jalousie, de vengeance, de manipulation dans la société suédoise de la fin du XIXème siècle où la femme veut assumer son désir d’indépendance et de liberté.
« Pour l’immense auteur suédois qu’est August Strindberg, si l’amour n’est pas une monnaie, il n’est pas un acte gratuit non plus : il laisse des créances dans le coeur des amants. Dans les liens qui se tissent, les serments qui s’échangent, chacun est créancier de l’autre et peut à tout moment venir reprendre ses gages… »
On connait tous Strindberg écrivain, dramaturge et peintre suédois, l’un des auteurs scandinaves les plus importants et un des pères du théâtre moderne, entre naturalisme et expressionnisme. On a aussi eu écho de ses relations amoureuses orageuses: il a été marié à trois reprises, mais son caractère hypersensible, voire névrosé a conduit chacune de ses unions au divorce… Ses mots et ses actes ont souvent été vus comme misogynes autant par ses contemporains que par les lecteurs d’aujourd’hui. Cependant, beaucoup reconnaissent qu’il avait une rare connaissance de l’hypocrisie des attentes de sa société à l’égard des sexes, du comportement sexuel et de la moralité. Le mariage et la famille sont sous tension à l’époque de Strindberg, alors que la Suède s’industrialise et s’urbanise rapidement. Les questions de la prostitution et de la moralité sont alors fortement débattues parmi les écrivains et les politiciens. Ses premiers écrits traitent souvent du rôle traditionnel donné aux sexes par la société, qu’il qualifie d’injuste…
Ici au Petit Studio de la Comédie Française, logé juste en face au Carrousel du Louvre, dans un espace ouvert à l’imaginaire, trois personnages très dessinés illustrent l’analyse des relations amoureuses d’un poète visionnaire au coeur tourmenté. Anne Kessler, sociétaire de la Comédie-Française, met en scène cliniquement, sans fioritures « avec rigueur et complexité. C’est une habituée des auteurs nordiques. Elle a monté des pièces comme Griefs (s) à partir de textes de Strindberg, Ibsen, Bergman, Norén… et avoue « aimer les auteurs du Nord et leurs analyses des relations amoureuses »
Les deux spectacles ont terminé leurs représentations en cette fin juillet mais ils devraient reprendre à l’automne. Francofil vous le fera savoir.
Crédit Photo: Bouffes de Nord/Pascal Gely et Comédie Française