Francofil a rencontré Alain Lefebvre, alors Conseiller pour les affaires sociales pour les pays nordiques, à l’Ambassade de France à Stockholm dans les années 2000. Spécialiste pour les questions sanitaires, sociales, d’emploi et de travail, Il nous expliquait, déjà, les arcanes des modèles sociaux suédois et français et surtout les limites de leur mise en perspective. Il y a depuis consacré plusieurs ouvrages, essais, articles et puis ce livre Macron le Suédois sorti en septembre dernier aux Presses Universitaires de France (PUF).
Sur la plupart des sujets qu’il passe en revue: code du travail, formation professionnelle, assurance chômage, apprentissage, chemins de fer, prisons ou retraites, Alain Lefebvre souligne, chiffres, statistiques, courbes et historiques à l’appui, la difficulté qu’il y a à faire évoluer notre système social marqué par les strates de l’histoire qui datent parfois de l’Ancien Régime, dans le sens de solutions nordiques qui proviennent de pays qui ont fait du pragmatisme leur principal outil de travail et il pose la bonne question :
« Emmanuel Macron est-il capable de mener des réformes à la suédoise ? Le président et ses équipes connaissent-elles vraiment les systèmes nordiques, les raisons de leur réussite et leurs limites ? »
Et il essaie d’y répondre: « Il serait utile que Macron qui se donne des objectifs suédois sache aussi utiliser les éléments qui ont permis à la Suède de se réformer dans les années 1990 ».
En premier lieu le temps que les Suédois savent aujourd’hui maîtriser. Le temps nordique de la concertation « Attention au chamboulement décidé dans la précipitation et sans réel dialogue ! ». Puis la recherche essentielle du consensus, concept typiquement suédois qui date des années 50 et qui est le pilier des réussites du modèle. Et ce n’est pas seulement à des consultations que le l’exécutif et le législatif doivent procéder avec les partenaires sociaux, c’est à une véritable concertation qu’ils doivent s’engager avec les partenaires sociaux.
Ensuite l’égalité, et la métaphore du ruissellement ou du premier de cordée n’est pas le type même du symbole d’égalité et de justice sociale. Les Suédois préfèrent celle du « vaisseau viking » : tous les marins sont égaux et les bénéfices de l’expédition doivent être partagés équitablement (base des historiques accords dit de Saltsjöbaden signés en 1938, entre la confédération des employeurs (SAF) et celle des syndicats ouvriers (LO), et « qui ont jeté les bases du « modèle social suédois » en instaurant la concertation au sommet comme au niveau des entreprises entre les partenaires sociaux sans interférence des pouvoirs publics ».
Enfin on ne doit pas oublier la culture du « lagom », un concept typiquement suédois, intraduisible en français, un concept de modération qui veut que tu ne dois pas te mesurer à ton prochain, voisin, partenaire, collègue…. « Chacun doit travailler mais pas trop dur, chacun doit manger mais pas trop, chacun doit avoir de l’argent mais pas plus... » Le contraire du « toujours plus haut, plus fort plus loin » hexagonal… Ce qui n’empêche pas les entreprises suédoises d’être leaders dans pas mal de secteurs d’industries, de services et de loisirs… et compétitives à l’export!
En conclusion, Alain Lefebvre doute de la volonté d’aboutir du président et il souligne en substance : « Les Français seraient déjà plus « flexi-sécures » que les Danois et pourtant ça ne règle pas le problème du chômage de masse… La mise en concurrence des chemins de fer n’est pas la clé d’un meilleur fonctionnement des trains… Les prisons ouvertes ? Ok, mais pas tant qu’il y a autant de prisonniers en préventive…; Enfin la réforme des retraites a pris 15 ans de concertation en Suède.. » Ce sont de vraies réformes de structure, en profondeur auxquelles il faut s’engager et ça demande du temps, du courage, une volonté politique et bien sûr de ne pas se tromper d’époque!.
On donnera le mot de la fin à Christophe Prémat, l’ex-député des Français d’Europe du Nord (2012-2017), chercheur à l’Université de Stockholm et spécialiste du discours politique qui résume bien la situation : « Ce qui est intéressant dans les modèles pris à l’étranger, c’est que l’on est toujours en retard d’un modèle. On fixe toujours un vieux cliché sur un modèle ».
Et puis en guise de modèle, il faut savoir que la Suède est actuellement dans une impasse politique et n’a toujours pas de gouvernement, 2 mois après les résultats des dernières élections législatives !!
Macron le Suédois par Alain Lefebvre, 2018, Ed. PUF
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