La voile bretonne à la conquête des mers scandinaves !

Si les Vikings partaient à l’assaut des mers du Sud, les navigateurs bretons aimeraient bien, ce millénaire, conquérir les eaux de l’Europe du Nord!
Alors que la dernière course transatlantique 2018, La Route du Rhum a donné son verdict, les spécialistes ont noté que sur les 123 skippers partis en novembre dernier de Saint-Malo, direction la Guadeloupe, 51 vivent, s’entraînent en Bretagne et ont pour objectif de conquérir des eaux plus internationales.

Filière intégrée et complète, bien implantée entre Finistère et Morbihan, avec plus de 1.200 kms sur 3 façades maritimes, de Roscoff à Brest et de Quimper à Concarneau, la Bretagne est un territoire privilégié pour le développement nautique. Les bateaux et les équipages de toutes les grandes courses françaises bénéficient de l’expertise de cet écosystème à la pointe de la technologie et de l’innovation. Aujourd’hui, la « Sailing Valley » bretonne veut naviguer dans de nouvelles eaux.
La Route du Rhum, le Vendée Globe, le Trophée Jules Verne, la Solitaire du Figaro… apparaissent comme un concentré d’innovations et de hautes technologies tout droit sorties de la « Bretagne Sailing Valley ». Officialisée l’an passé, la marque de fabrique de la voile de compétition en Bretagne porte haut les couleurs de tout un écosystème, à la pointe de la technologie et capable d’imaginer les bateaux de demain. Bien installée sur son territoire, elle cherche aujourd’hui à le faire savoir davantage à l’étranger, voire à attirer des skippers internationaux. Et la Volvo Ocean Race est dans tous les esprits des solitaires de la mer!.

« La voile de compétition bretonne est une filière en croissance, qui a représenté un chiffre d’affaires de 56 M€ en 2017 (+ 9 % par rapport à 2015), soit 6,5 % du chiffre d’affaires global de la filière nautique en Bretagne (205 M€) », fait remarquer Carole Bourlon, en charge de la filière voile de compétition et matériaux composites à l’Agence économique régionale Bretagne Développement Innovation.
« Depuis Eric Tabarly, la Bretagne est le berceau de la voile de compétition pour de nombreux skippers tels Armel Le Cléac’h, Thomas Coville ou Jean Le Cam. La transformation de la base sous-marine de Lorient en un pôle nautique spécialisé dans la course au large ainsi que la création du centre de formation Pôle Finistère-Course au large de Port-la-Forêt, ont contribué à la structuration d’une filière dense et complémentaire », ajoute Carole Bourlon.

Le Pôle Finistère Course au Large de Port la Forêt est devenu la référence absolue en matière de préparation des navigateurs de haut niveau.

Créé en 1990 sous l’impulsion de grands champions tels que Michel Desjoyeaux, Jean Le Cam, Roland Jourdain, ou encore Bertrand de Broc, convaincus de l’intérêt de se regrouper afin de mutualiser leur préparation sportive, le Pôle Finistère Course au large basé à Port-La-Forêt près de Concarneau (Finistère Sud) peut accueillir une vingtaine de sportifs en formation initiale et il apporte également sa contribution sportive à la préparation des navigateurs à la Route du Rhum ou au Vendée Globe. Le palmarès des skippers passés par cette préparation exigeante est éloquent. Rares sont les Vendée Globe qui ont échappé au Pôle.

A quelques encablures de là , Kaïros, fondée en 2007 est une société dirigée par Sophie Verceletto et Roland Jourdain dit « Pilou », le parrain de toute la jeune génération, dont l’objet est de gérer tous les aspects techniques, logistiques ou administratifs des voiliers de compétition, mais aussi de conduire des projets extérieurs, qu’ils soient sportifs, techniques ou à caractère environnemental, pour le compte de marins ou d’armateurs qui veulent bénéficier de l’expérience de son équipe. Deux jeunes entreprises ont bénéficié de ce « parrainage Kaïros » et ont participé au succès de Francis Joyon sur la dernière Route du Rhum.
La société Transsonique qui a mis au point l’EPOH, un dériveur ultrarapide équipé de patins stabilisateurs pour limiter le chavirage, un peu à la manière des petites roues fixées aux vélos pour enfants et Ino-Rope, start-up fondée en 2013 et spécialisée dans la conception et la réalisation de produits innovants inspirés de la course au large.
De l’architecture et la construction navale aux équipements électroniques embarqués et revêtements de coque en passant par la fabrication de gréements et de foils, la voile de compétition en Bretagne représentait en 2016 un budget R&D de 5,5 M€. Dans les dix prochaines années, les évolutions porteront à 44 % sur la généralisation des foils et des bateaux volants, l’innovation et l’optimisation de la performance des matériaux (14 %), et sur une présence plus importante de l’électronique et du numérique à bord. Le budget global annuel des 200 écuries et projets sportifs actifs en Bretagne est pour sa part estimé à 58 M€.
« Les grands noms de la voile et les écuries font appel à cette pépinière d’entreprises industrielles et de startups du numérique qui fonctionnent comme dans un écosystème », affirme Carole Bourlon.

Hors Europe, les 29% de la commercialisation sont tirés par les États-Unis, l’Asie et l’Australie. La « Bretagne Sailing Valley » mise aujourd’hui sur le savoir-faire et la capacité d’innovation de son écosystème pour aborder d’autres côtes : celles par exemple d’autres pays anglo-saxons fans de voile, comme le Canada ou de la Scandinavie.

Si les Nordiques ne jurent que par la Volvo Ocean Race, course à la voile autour du monde, en équipage et par étapes, réservée aux monocoques et organisée tous les trois ans, (il est interdit de naviguer en solitaire dans les eaux de la Baltique et de la mer du Nord, d’où cette tradition de l’équipage), le Vendée Globe Challenge course en solitaire, sans escale et sans assistance, pourrait être dans leurs têtes à l’avenir ! Un seul obstacle pour les navigateurs, c’est le déficit de communication à l’international de l’épreuve.

« Moi qui ai fait deux tours du monde en équipage, je peux vous dire que je n’oserai pas suivre ces fous furieux de français, rigole Ken Read, le grand skipper américain, aujourd’hui PDG de North Sails dont la filiale France siège à Vannes. Sincèrement je ne sais pas comment ils tiennent le coup. » Fasciné par ces difficultés et l’engouement du public français, le marin businessman pense que le Vendée Globe est une course qui mériterait un plus grand retentissement international. «C’est l’épreuve absolue, l’aventure la plus extrême, mais elle est loin d’être aussi bien couverte que la suédoise Volvo Ocean Race par exemple » déplore-t-il. Un nouveau challenge pour la « Sailing Valley » bretonne !

Copyright Photos: DR et Rivacom
Texte: Lumières Internationales Magazine N°20/Décembre 2018