Une princesse norvégienne à l’origine de l’un des plus beaux jardins de Normandie, le Vastérival.

Margaretha, Greta Kvaal, dite Princesse Sturdza (du nom de son époux, le prince moldave Gheorghe Sturdza) née en 1915 à Oslo et décédée en 2009 dans la petite commune de Sainte-Marguerite-sur-mer tout près de Dieppe en Normandie faisait elle-même à 95 ans, visiter son jardin du Vastérival.

Tel qu’on peut le voir aujourd’hui, Le Vastérival est l’aboutissement de cinquante années du travail opiniâtre de la Norvégienne qui avait hérité de son père, grand armateur, un amour immodéré des plantes et de la nature qu’elle a pu découvrir toute jeune lors de promenades dans la campagne d’Oslo.

La Princesse est arrivée à Sainte-Marguerite-sur-Mer en décembre 1955 après avoir craqué pour la demeure de l’ancien Officier de marine et compositeur classique Albert Roussel (1869-1937) avec un parc de 12 hectares surplombant la falaise de Varengeville. « Nous avons acquis ce qui est devenu « Le Vastérival » à la fin de 1955. J’avais la ferme intention d’y créer un jardin que je voulais beau et intéressant toute l’année. Tout était à faire… » écrit-elle dans son Introduction à l’ouvrage « Le Vastérival, le Jardin d’une passion aux Editions La Maison Rustique

À partir ce jour, la Princesse organisa son existence autour du jardin. Jour après jour, hectare par hectare, totalement autodidacte, elle créa avec le Vastérival son troisième jardin, forte de premières expériences en Moldavie et en Norvège. Deux bases essentielles allaient la guider durant toute sa vie de jardinière : une plantation soignée et le mulching (un genre de compost) qui permet de protéger le sol, de l’enrichir, et de réduire l’entretien des massifs.
En un bon demi-siècle, la Princesse Sturdza a transformé un vallon broussailleux (Vasterival est le nom de la valleuse qui traverse le jardin et se termine à la falaise). en un endroit merveilleux pour le botaniste et le jardinier, dont la réputation a largement franchi les frontières. En plus d’être une œuvre d’art vivante, ce jardin constitue aussi un rare témoignage de l’évolution du jardinage du milieu du XXe siècle à nos jours.

« L’harmonie du jardin était son souci principal. Elle voulait pouvoir aller n’importe où, à n’importe quel moment et pouvoir se tourner dans toutes les directions pour admirer des scènes, des perspectives, des ensembles harmonieux, et ce à toutes les saisons«  souligne Aurélie André, l’une des 6 jardiniers travaillant en permanence au Jardin. Le principal tour de force de la Princesse Sturdza fut d’avoir maintenu cet état de perfection, d’harmonie, de propreté, mais aussi une incroyable richesse botanique et horticole sur une surface qui n’a cessé d’augmenter au fil des ans, même (et surtout durant les dernières années). « Elle n’a jamais employé beaucoup de jardiniers, assurant elle-même une partie des travaux : tonte, nettoyage des fleurs fanées, ramassage des branches mortes, guidant les visiteurs de main de maître.. ». continue Aurélie
Beaucoup de jardiniers amateurs ont découvert au Vastérival, le fameux Cornus controversa ‘Variegata’ l’emblème du Jardin, les mahonias à floraison hivernale ou les viornes étagées (Viburnum plicatum), tous de grandes raretés au début des années 1980. On doit aussi à la Princesse Sturdza la démocratisation des cornouillers à fleurs, des érables japonais, des magnolias, et surtout des hellébores et des fougères ont attiré son attention.

La Princesse Sturdza n’était pas une « collectionneuse », au sens où peu lui importait de recueillir toutes les espèces d’un genre donné ou toutes les variétés d’une espèce particulière (comme au Jardin Shamrock tout proche avec sa Collection d’Hortensias et d’Hydrangéas). Elle était très intéressée par le travail du Conservatoire français des collections végétales (CCVS) mais elle a toujours refusé la responsabilité de détenir l’une ou l’autre des collections nationales, pour ne pas avoir à conserver des plantes qui auraient pu manquer d’intérêt. Pourtant les genres : Rhododendron, Betula, Viburnum, Pieris, Skimmia, Cornus, Acer, Deutzia, Hydrangea, Magnolia sont particulièrement bien représentés au Vastérival, qui abrite aussi bon nombre de conifères botaniques et des raretés.

L’attrait du jardin en toutes saisons fut l’une de ses principales préoccupations et elle a cultivé beaucoup d’espèces à feuillage persistant, à floraison hivernale, à écorce décorative, ainsi que des conifères pour lesquels elle militait ardemment. La Princesse Sturdza prenait aussi un soin méticuleux à ne pas heurter le regard avec des fleurs, des feuillages ou des silhouettes trop exotiques. Les bambous sont très peu nombreux au Vastérival et elle ne voulait pas planter d’eucalyptus ni de fougères arborescentes jugées sans adéquation avec le paysage normand.
(source Votre jardin/RMC/Week end des experts 2013)

Le Vastérival est aujourd’hui un extraordinaire jardin privé d’une douzaine d’hectares, ouvert au public, à voir en toutes saisons. La princesse est passée maître dans l’art d’associer les couleurs des floraisons, des écorces et des feuillages persistants. Le meilleur moment est certainement le mois de février où on peut admirer des hellébores en compagnie de cornouillers et d’érables à écorce colorée, des prunus, de magnolias hâtifs, de camélias et de bruyères. Son succès ne se dément pas au printemps, au moment de la floraison des rhododendrons, des magnolias ou des camélias, ou à l’automne, quand le feuillage flamboyant des érables japonais capte le regard.

La « Princesse », aura enrichi l’art des jardins de son expérience pratique. C’est elle qui a introduit la taille en transparence des arbres et arbustes, ainsi que le mulchage, une technique qui consiste à protéger les plantations du gel avec un tapis de feuilles mortes, de compost et, par exemple, d’aiguilles de pin. Autre avantage de cet usage aujourd’hui largement répandu : permettre la réduction des arrosages, y compris en… Normandie, où il arrive que la sécheresse sévisse. « Dans les parties le plus chaudes et « arides » du jardin nous installons des plantes australes, méditerranéennes, américaines (sud) et asiatiques : Eucryphia (Australie), Lomatia (Australie) , Luma apiculata ( Chili, Argentine), Arbutus (sud Europe), Shefflera et autres araliacées (Asie) » nous précise Aurélie

Le Jardin est aujourd’hui sous la responsabilité légale de sa belle-fille, la princesse Irène résidente suisse et botanique de Didier Willery, écrivain et ancien journaliste, l’un des meilleurs spécialistes des plantes horticoles. Il est aussi l’auteur d’une grande partie des superbes photographies mises en ligne sur le site du « jardin de la princesse » ou encore visibles dans l’ouvrage de la Princesse à La Maison Rustique consacré au Vastérival, le Jardin d’une passion. (la plupart des photos illustrant cet article sont signées Didier Willery).

La princesse Greta Sturdza était vice-présidente de la Royal Horticultural Society et présidente d’honneur de l’International Dendrological Society. Elle a été décorée Officier de l’ordre norvégien royal de Saint-Olav, et a reçu le titre d’officier du Mérite agricole et de Chevalier des Arts et Lettres. Elle fut également membre de l’Académie des Sciences, Belles Lettres et Arts de Rouen, présidente d’honneur des Parcs et Jardins de Haute-Normandie.

« Mon but était de transformer la broussaille en un jardin intéressant et beau toute l’année…. Après cinquante années de travail, de passion et de joies immenses, le résultat est ce jardin des 4 saisons… » terminait-elle dans son Introduction.  Réussite absolue pour un plaisir des yeux avec des massifs fleuris tout au long de l’année. «C’est la princesse Greta Sturdza qui, à partir des années 1950, va faire de Varengeville le village de jardiniers qu’il est aujourd’hui…», explique Blandine Kirchner, membre de l’association Patrimoine et environnement de Varengeville au Figaro en octobre dernier lors de la Journée des Plantes et pour le 10ème anniversaire de la mort de Greta «C’était une jardinière hors pair, qui a importé en France le concept du jardin de quatre saisons, beau toute l’année, grâce notamment aux écorces et aux floraisons hivernales». Concept norvégien-northmen-normand gagnant depuis plus d’un millénaire ! La franco-norvégienne Margaretha, Greta Kvaal repose toujours sur « ses » terres de Normandie.

Le Vastérival se visite sans inscription obligatoire mais toujours en visite guidée. La visite «découverte » du lundi au vendredi à 11h (1h; 15€/pers.) et la visite « botanique » chaque vendredi à 14h (2h, 20€/pers.). Accueil de groupes sur demande par mail à levasterival (@) orange.fr. Plus sur. www.vasterival.fr 

Crédits Photo: Le Vastérival, Didier Willery, La Maison Rustique, DR