En France, l’élection présidentielle aura lieu les 10 et 24 Avril prochain, suivie des législatives en Juin. En Suède, les élections générales se dérouleront le 2è dimanche de Septembre 2022. A l’approche de ces échéances, si les enjeux sont les mêmes, les « jeux » des forces qui les représentent ont des règles différentes. Pire, elles ne s’accordent plus !!
Anne-Françoise Hivert, correspondante en Europe du Nord du journal Le Monde dans son article paru fin janvier : « Les habits neufs de la social-démocratie scandinave » (Article in extenso que vous pouvez lire en accès libre ci-dessous) introduit: « Boudés par leur électorat traditionnel, les sociaux-démocrates des pays nordiques ont renoué avec le pouvoir en misant sur l’écologie, le social et le collectif, la défense de l’Etat-providence, mais aussi en durcissant leurs positions sur l’immigration. » Et elle fait un état de la social-démocratie au pouvoir dans les 4 pays nordiques ces 20 dernières années. » Pour la première fois depuis 2001, les sociaux-démocrates gouvernent simultanément dans les quatre pays de l’extrême-nord de l’Union européenne ».
La social-démocratie française, elle, s’est perdue ces 20 dernières années. La gauche est presque enterrée. Après de longs mois de faux-semblants, socialistes, écologistes, « insoumis » et communistes iront à la bataille chacun de leur côté pour se disputer un bien maigre électorat: 25% des intentions de vote en tout ! Et la « Primaire Populaire » qui devait trouver un candidat unique à gauche a plus divisé que rassemblé ! La social-démocratie française n’a pas su se moderniser, se renouveler ces 20 dernières années.
Nous ne rentrerons pas dans les débats idéologiques ou égotistes, rassemblement ou ralliement, union ou pas, programme commun ou candidat unique, projets contre promesses… mais devant l’impasse politique que connait la social-démocratie en France à moins de 2 mois de l’élection présidentielle, Francofil a voulu mettre en perspective l’article du journal Le Monde pour juste peut-être se rappeler des bonnes pratiques du « vivre ensemble » puisque faire de la politique c’est avant tout s’engager à cela, et appeler à la renaissance, à une nouvelle génération, à des approches pragmatiques de l’identité, de la sécurité et à de nouveaux enjeux sociétaux, à renouer avec « les gens ordinaires », bref à prendre conscience pour un nouveau départ ! On disait la droite française la plus bête du monde. En 2022, la gauche la rejoint pieds et poings liés ! /DD
Les habits neufs de la social-démocratie scandinave
Par Anne-Françoise Hivert (Malmö, Suède, correspondante régionale)
Publié le 21 janvier 2022 à 08h04, mis à jour à 15h33
Boudés par leur électorat traditionnel, les sociaux-démocrates des pays nordiques ont renoué avec le pouvoir en misant sur l’écologie, le social et le collectif, la défense de l’Etat-providence, mais aussi en durcissant leurs positions sur l’immigration.
L’histoire retiendra-t-elle que c’est à Göteborg, en ce début du mois de novembre 2021, que les sociaux-démocrates suédois s’autorisèrent enfin à croire en un possible nouveau départ ? Quatre ans auparavant, militants et responsables du parti à la rose avaient déjà choisi le centre d’exposition du plus grand port de Scandinavie, sur la côte ouest du royaume, pour y tenir leur 39e congrès. A l’époque, tel un spectre, la « crise de la social-démocratie » hantait toutes les discussions. En Europe du Nord, ils étaient les seuls de leur famille politique encore au pouvoir et s’ils réussirent à se maintenir après les élections législatives de septembre 2018, ce fût avec le plus mauvais score de leur histoire.
Le contexte a radicalement changé quand s’ouvre le 41e congrès du parti, le 3 novembre 2021, au même endroit. En Norvège, deux semaines plus tôt, le leader travailliste Jonas Gahr Store a pris la tête d’un gouvernement de coalition avec le parti centriste. En Allemagne, le chef de file du SPD, Olaf Scholz, s’apprête à remplacer Angela Merkel à la chancellerie, après la victoire de son parti aux élections du 26 septembre, où il a remporté 25,7 % des voix. Et depuis 2019, ils sont revenus aux affaires en Finlande et au Danemark.
Cette concomitance, qui ne s’était pas produite depuis 2001, est-elle le fruit d’un hasard ? Ou bien, faut-il y voir un signe ? La preuve d’une revitalisation d’un courant politique et idéologique plus que centenaire, architecte de l’Etat-providence, défenseur d’une économie mixte et attaché à la concertation avec les partenaires sociaux ? Un courant qui semblait pourtant à bout de souffle depuis le début du siècle, en panne d’idée pour faire face aux grands défis actuels, après s’être laissé tenter par la « troisième voie » de Tony Blair et l’idéologie néolibérale.
Désignée par les militants pour succéder à Stefan Löfven, le leader du Parti social-démocrate suédois depuis 2011 et premier ministre depuis 2014, Magdalena Andersson l’affirme dans son discours inaugural à Göteborg : la social-démocratie est « dans une position de force idéologique ». Pour cette économiste de 54 ans, qui a incarné pendant sept ans la politique budgétaire très restrictive de la Suède à la tête du ministère des finances, il ne fait pas de doute : « Le monde a envie de plus de solutions collectives et de moins d’expérience de marché. De moins de confrontations et de polarisation. De plus d’égalité et de solidarité. »
Renaissance
A la tribune, Olaf Scholz tient le même discours. En pleines négociations avec les partenaires de sa future coalition gouvernementale (les Verts et les libéraux), le presque chancelier allemand a fait une pause pour venir à Göteborg, le 5 novembre. Devant les militants suédois, le leader du SDP, accueilli par une standing ovation, salue la « renaissance remarquable de la social-démocratie et des partis progressistes à travers l’Europe et le monde ».
Deux jours plus tard, c’est au tour de Jonas Gahr Store de faire une apparition sur scène. Ses propos font écho à ceux d’Olaf Scholz. Tous deux ont gardé le contact, pendant leurs campagnes, menées en parallèle, a-t-il confié au Monde, dans une interview publiée le 25 octobre. « Je crois que ce que l’on observe en Norvège, comme en Europe, c’est une social-démocratie qui renoue avec ses racines et retrouve sa pertinence, une social-démocratie moderne », y affirmait-il. La clé du succès : « Nous avons réussi à rappeler à nos électeurs que l’identité de nos partis est de défendre les intérêts des travailleurs – les ouvriers, les salariés, les gens aux revenus modestes. »
Ces électeurs ont été au cœur de la campagne électorale de Mette Frederiksen, au Danemark, en 2019, et du tournant idéologique réalisé par son parti à compter de 2015. Chez ses voisins, le modèle danois fascine autant qu’il provoque. Car si le Parti social-démocrate danois a opéré un recentrage très à gauche sur la politique économique et sociale, mettant également en avant ses ambitions en matière de lutte contre le changement climatique, il défend des positions ultra restrictives sur l’asile et l’immigration, n’ayant rien à envier à l’extrême droite.
Nouvelle génération
Pour expliquer ce virage, il faut rappeler le contexte danois. En 2015, les sociaux-démocrates se retrouvent de nouveau dans l’opposition, après quatre ans seulement au gouvernement. Fille d’un typographe et d’une enseignante, Mette Frederiksen, 38 ans alors, labellisée à gauche, remplace la très technocrate Helle Thorning-Schmidt à la tête du parti. Elle est entourée d’une nouvelle génération de députés, majoritairement issus de la classe ouvrière, qui va soutenir la réorientation idéologique du parti, pensée par Mette Frederiksen et ses deux plus proches conseillers, Henrik Sass Larsen, leader du groupe au Parlement, et Martin Rossen, son futur directeur de cabinet.
« Une société avec un Etat-providence universel (…) n’est pas compatible avec une politique migratoire ouverte » – Mette Frederiksen, première ministre danoise
Plus que le produit d’une réflexion intellectuelle, ce virage se veut une réponse pragmatique à un constat : le Parti social-démocrate ne représente plus les intérêts de ses électeurs traditionnels. Mette Frederiksen s’en excusera publiquement. En 2015, il a à peine devancé le Parti du peuple danois (Dansk Folkeparti, DF), arrivé en deuxième position avec 21,1 % des voix. Depuis 2001, la formation populiste, eurosceptique et anti-immigration sert de force d’appoint aux coalitions gouvernementales libérales conservatrices minoritaires. En quinze ans, DF a réussi à transformer le débat public : non seulement, l’ensemble de la droite s’aligne sur sa politique, mais le sentiment anti-immigrés et la rhétorique aux accents xénophobes est devenue mainstream au Danemark.
Sous la direction de Helle Thorning-Schmidt, les sociaux-démocrates avaient déjà donné des coups de boutoir dans la politique d’accueil du pays. A partir de 2015, ils voteront toutes les restrictions proposées par la droite et l’extrême droite. A Stockholm, en janvier 2016, Mette Frederiksen s’en explique devant le Comité mixte du mouvement ouvrier social-démocrate nordique (Samak), un forum qui rassemble l’ensemble des partis sociaux-démocrates nordiques et toutes les grandes centrales syndicales.
D’une part, rappelle-t-elle, ce n’est pas la classe moyenne et encore moins les groupes aisés qui pâtissent de l’immigration : « La pression sur les salaires, la pression sur le marché du travail, la pression dans les logements sociaux, la pression sur les écoles… Ce sont ceux qui sont déjà vulnérables qui doivent [la] subir. » D’autre part, argue-t-elle, trop d’immigration et pas assez d’intégration mettent en péril le modèle social danois. Pour Mette Frederiksen, « une société avec un Etat-providence universel, un accès gratuit et égal pour tous à la santé, à l’éducation et à l’aide sociale, n’est pas compatible avec une politique migratoire ouverte ».
Approche « pragmatique » de l’immigration
Cette ligne s’inscrit naturellement dans l’histoire du parti, défend Mattias Tesfaye, alors porte-parole sur les questions d’immigration et d’intégration. Ce maçon de formation, fils d’une Danoise et d’un réfugié éthiopien, publie en 2017 un essai de 386 pages, intitulé Velkommen Mustafa (Gyldendal, non traduit), qui revient sur cinquante ans de politique migratoire sociale-démocrate et fait désormais référence en Scandinavie. Son constat : dès les années 1980, les maires sociaux-démocrates des communes populaires de l’ouest de Copenhague plaidaient pour une politique migratoire restrictive. Le leadership du parti a fait la sourde oreille et a même stigmatisé ces élus. DF a pu occuper le terrain.
« Selon moi, ce n’est pas un virage idéologique, réagit Martin Rossen, l’ancien bras droit de Mette Frederiksen, aujourd’hui passé dans le secteur privé. Je le vois plutôt comme un retour aux sources, avec un Parti social-démocrate qui se concentre sur le contrat social, où droits et obligations doivent être équilibrés, où vous devez avoir une forme de réciprocité et où une cohésion sociale est nécessaire, pour que le modèle fonctionne, ce qui est extrêmement difficile quand trop de gens ne travaillent pas. »
Les Danois ne sont pas les seuls à tenir ce discours. « La social-démocratie est vulnérable à une immigration perçue comme incontrôlable », déclarait au Monde Jonas Gahr Store, après sa prise de fonction à Oslo. « Si on ne réussit pas l’intégration, ce sont nos électeurs qui sont affectés au travail, dans leurs quartiers… C’est ce que dit Mette Frederiksen et je pense qu’elle a raison », ajoutait le leader travailliste. En 2018, les sociaux-démocrates norvégiens ont eux aussi donné un tour de vis dans leur programme migratoire, peu après un nouvel échec électoral.
Conseiller auprès du think tank Agenda, un groupe de réflexion de centre gauche basé à Oslo, Sylo Taraku a siégé au sein de la commission chargée de dessiner la nouvelle politique du parti, présentée comme « réaliste » – un qualificatif également utilisé pour définir le programme danois. Les membres de la commission ont d’ailleurs beaucoup échangé avec leurs voisins : « Nous avons réalisé que nous partagions une expérience commune, que nous avions la même compréhension des problèmes, même si le climat dans lequel se déroule le débat public est différent », témoigne cet auteur de plusieurs essais sur l’immigration.
Sans aller aussi loin que les Danois, qui ajoutent à la défense de l’Etat-providence une critique du multiculturalisme aux relents identitaires, les travaillistes norvégiens ont opté pour « une approche pragmatique », détaille Sylo Taraku. Pour le parti, explique-t-il, il s’agissait de « s’approprier la question de l’immigration et de présenter une réponse sociale-démocrate, de façon proactive », afin de « neutraliser le débat ». Mais également de « regagner la confiance » des électeurs traditionnels, « qui se sentent aliénés par une position trop libérale ».
Le tournant 2014-2015
En Suède aussi, un changement s’est opéré. Longtemps, les sociaux-démocrates ont plaidé pour la fermeté, s’inquiétant des effets du dumping sur les salaires, quand la droite voulait ouvrir les frontières. Puis, alors que l’extrême droite faisait son entrée au Parlement en 2010 et que les sociaux-démocrates se retrouvaient dans l’opposition, ils ont défendu une ligne plus généreuse sur l’asile. « Mon Europe ne construit pas de mur », tempêtait ainsi Stefan Löfven en septembre 2015.
L’arrivée de 240 000 demandeurs d’asile entre 2014 et 2015 a rebattu les cartes. Aujourd’hui, les conditions d’accueil ont été durcies au maximum. Et, malgré les divisions au sein du parti, il n’est pas question de revenir en arrière. La frange la plus libérale des militants a beau le regretter, « il n’y a pas de marge de manœuvre actuellement pour ouvrir un débat sur des assouplissements », note Ulf Bjereld, ancien président du mouvement des sociaux-démocrates pour la foi et la solidarité. Avant les élections de septembre 2022, qui devraient être dominées par la question de l’insécurité, Magdalena Andersson tente d’orienter le débat sur l’intégration, tout en tenant un discours aux accents très sécuritaires et en faisant de la lutte contre le travail illégal des étrangers une priorité.
La Finlande est un peu à part. Si le parti les Vrais Finlandais (extrême droite) est parvenu à rassembler 20 % des votes aux législatives d’avril 2019, en captant le mécontentement lié à l’arrivée de plus de 30 000 demandeurs d’asile en 2015, le pays se distingue de ses voisins. « Si vous regardez l’origine ethnique des habitants, la Finlande est encore assez homogène. Nous n’avons pas non plus fait l’expérience des problèmes d’intégration qui se sont manifestés dans les banlieues en Suède ou au Danemark », note le secrétaire général du Parti social-démocrate, Antton Rönnholm. La Finlande est aussi, avec le Japon, le pays qui connaît le vieillissement le plus rapide de sa population et va donc devoir faire venir rapidement de la main-d’œuvre de l’étranger pour assurer le fonctionnement et le financement de son modèle social et de son économie.
Le SPD allemand n’a pas non plus suivi la voie ouverte par les sociaux-démocrates danois. Au contraire : à l’issue d’une campagne électorale où les thèmes de l’immigration et de l’islam, centraux en 2017, ont brillé par leur absence, Olaf Scholz affirmait, devant le Bundestag, le 15 décembre, que « l’Allemagne est un pays d’immigration ». « Il est grand temps que nous le comprenions » et que « nous facilitions l’obtention de la citoyenneté allemande », a-t-il ajouté : « C’est uniquement sur cette base que nous pouvons rendre possible l’intégration complète et la participation politique. »
« Renouer avec les gens ordinaires »
Dans les pays nordiques, la stratégie préélectorale de Mette Frederiksen avait suscité une certaine compréhension, en revanche le jusqu’au-boutisme pratiqué par son gouvernement fait grincer des dents. Les critiques visent autant la rhétorique, très dure à l’égard des immigrés et des réfugiés, que la politique « symbole », menée par Mattias Tesfaye, désormais ministre de l’immigration et de l’intégration, avec des mesures telles que la suspension des visas de certains réfugiés syriens ou la volonté d’externaliser l’asile.
« Sur le long terme, les sociaux-démocrates ne peuvent jamais gagner sur ces questions, car la droite populiste est toujours prête à aller plus loin », observe Asbjorn Sonne Norgaard, le directeur du think tank danois de centre gauche Cevea. D’ailleurs, si le « bloc rouge et vert » a pu remporter la majorité en 2019, rappelle-t-il, « c’est parce que le scrutin ne s’est pas joué sur l’immigration, pour la première fois depuis longtemps, mais sur l’Etat-providence et le climat », comme en Norvège ou en Allemagne.
Après avoir parcouru le pays pendant deux ans, Mette Frederiksen a fait campagne sur le rétablissement de la retraite anticipée pour les métiers pénibles et la décentralisation des services publics, avec un slogan : « Nu er det Arnes tur » (« maintenant, c’est le tour d’Arne »). Agé de 61 ans, quarante-quatre années de vie active derrière lui, Arne Juhl, ouvrier d’une brasserie de la province du sud du Jutland, devient le symbole du recentrage du parti.
« Nous avons voulu renouer avec les gens ordinaires, qui avaient le sentiment d’avoir été abandonnés par les sociaux-démocrates », témoigne Martin Rossen. L’ancien directeur de cabinet de Mette Frederiksen y voyait la condition pour redevenir « pertinent ». « Les partis qui naviguent principalement sur la base de leurs cercles politiques intimes, des médias et de Twitter atteindront leur date d’expiration plus tôt que nécessaire. Si vous perdez contact avec la vie, les aspirations – et les frustrations – du peuple, comme cela semble être le cas pour les socialistes français que j’admire depuis Mitterrand, vous vous fermerez. »
Prise de conscience
Nombreux sont ceux qui, comme lui, mentionnent avec nostalgie le PS français et ses errances, se demandant pourquoi les dirigeants français ne viennent pas voir ce qui se fait au Danemark, mais aussi en Norvège, où la campagne menée par Mette Frederiksen a fortement inspiré Jonas Gahr Store, qui a axé la sienne sur la lutte contre les inégalités, dans un des pays les plus riches du monde, grâce aux gaz et au pétrole. En 2017, le leader travailliste avait repris le slogan des sociaux-démocrates suédois : « Alla ska vara med » (« tout le monde doit suivre »). En 2021, il l’a remplacé par : « Na er det vanlige folks tur » (« maintenant, c’est le tour des gens ordinaires »).
« Nous avons essayé de gagner les voix de la classe moyenne (…), ce qui nous a conduits à nous déconnecter de notre base » Tobias Baudin, secrétaire du Parti social-démocrate suédois
Des « gens ordinaires », également au cœur du programme d’Olaf Scholz fondé sur le « respect ». A Göteborg, le chef du SPD a rappelé que les sociaux-démocrates s’étaient battus pour une société « basée sur la méritocratie » et qu’ils avaient réussi « au-delà de toute espérance ». Mais, en cours de route, ils ont oublié que « la grosse majorité des gens restent des gens ordinaires avec des vies ordinaires et des emplois ordinaires ». Ce sont eux qui « font en sorte que notre société fonctionne », a constaté le nouveau chancelier allemand. Pourtant, ils ont souvent « le sentiment [de] ne pas être reconnus de manière adéquate », ce qui nourrit « une amertume et un ressentiment » et il « en résulte un nouveau clivage que les populistes ont pu exploiter ». Sa réponse : un revenu minimum à 12 euros, l’amélioration des conditions de travail et du logement, une retraite digne. « Nous devons faire campagne sur des questions qui sont importantes pour les vraies gens », a martelé M. Scholz.
En Suède, Tobias Baudin, ex-leader du syndicat des employés communaux, secrétaire du Parti social-démocrate depuis novembre 2021, approuve : « Nous sommes le parti des travailleurs, mais nous avons pris les gens ordinaires et les travailleurs pour acquis. Nous avons pensé qu’ils n’iraient jamais nulle part et nous avons essayé de gagner les voix de la classe moyenne, notamment dans les grandes villes, ce qui nous a conduits à nous déconnecter de notre base. »
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Daniel Suhonen, directeur du think tank suédois Katalys et fondateur des Réformistes, qui rassemble la gauche du parti, se réjouit de cette prise de conscience : « En Allemagne et dans les pays nordiques, les sociaux-démocrates réalisent que la classe ouvrière n’a pas cessé d’exister, mais que ce sont eux qui ont arrêté de s’y intéresser et que les élections ne sont pas déterminées par la classe moyenne urbaine, comme ils s’étaient mis à le croire il y a dix-quinze ans, mais dans les banlieues, les anciennes et nouvelles villes ouvrières ainsi que les campagnes. »
« C’est un changement assez important, constate Trygve Svensson, directeur du think tank norvégien Agenda. Les sociaux-démocrates ont réintroduit la défense des intérêts fondamentaux des travailleurs comme leur principale tâche. Bien sûr, la vision d’une société où tout le monde est inclus perdure. Mais ils reviennent à l’essentiel, ce qui a été au cœur du mouvement social-démocrate pendant tout le XXe siècle, jusqu’à ce que Tony Blair et sa « troisième voie » imposent l’idée selon laquelle la politique des intérêts pouvait être transcendée. »
Les règles du jeu ont changé
Dans aucun autre pays du nord de l’Europe, les théories néolibérales n’ont connu un tel succès qu’en Suède. Directrice de recherche au CNRS, actuellement détachée à l’université d’Uppsala, la professeure des idées politiques Jenny Andersson explique : « Il y avait toute une faction au sein de la social-démocratie suédoise qui estimait que l’Etat ne pouvait pas tout gérer. Je ne pense pas que cela ait jamais été un projet, mais plutôt le produit d’une naïveté politique incroyable, combinée à une montée en puissance d’un capitalisme financier qui, à un moment, a visé l’Etat social comme possible objet de spéculation. »
Le résultat a été dramatique, selon Daniel Suhonen. « En plus d’augmenter les inégalités, ces politiques néolibérales ont généré un choc d’insécurité sociale et économique, auquel des gens comme Jimmie Akesson (leader de l’extrême droite suédoise) ou Mme Le Pen ont offert une réponse nationaliste. » Et à ceux qui se sont laissé tenter, remarque M. Suhonen, « la gauche a opposé son mépris, les traitant de racistes, au lieu de proposer des solutions pour reconstruire le contrat social ».
Le retrait de la puissance publique et l’ascendance des acteurs privés dans des secteurs comme l’éducation et la santé étaient déjà critiqués avant la pandémie. La crise sanitaire a jeté un coup de projecteur sur les carences d’un modèle affaibli par des années de dérégulation. Elle a aussi révélé les limites d’une politique budgétaire restrictive, dont Olaf Scholz et Magdalena Andersson, en tant que ministres des finances, ont tous les deux été des artisans. Aujourd’hui, ils semblent d’accord pour dire que les règles du jeu ont changé, sans toutefois prôner une rupture radicale.
Pour Jan-Erik Stostad, secrétaire général de Samak, le contexte actuel est propice à la social-démocratie : « Quand l’Europe et le monde entier discutent des analyses de Thomas Piketty ou de l’intervention de l’Etat, il est plus facile pour nous de renforcer notre profil social-démocrate. Nous sommes influencés comme nous l’avons été par le néolibéralisme dans les années 1990. »
Une « réindustrialisation » verte
Face à la crise climatique, les sociaux-démocrates mettent en avant le rôle de l’Etat et des politiques publiques. Le Norvégien Trygve Svensson cite l’économiste américano-italienne Mariana Mazzucato, populaire chez les sociaux-démocrates allemands, qui viennent de présenter un plan prévoyant de tripler le développement des énergies renouvelables d’ici à 2030. « Au lieu de socialiser le risque et de capitaliser les récompenses, ce qui est le cas depuis la crise financière, nous devons donner une direction au capitalisme, et cela doit être une direction politique, sur la base d’un accord où risques et gains sont socialisés », résume M. Svensson.
Pour les sociaux-démocrates, la réponse au défi climatique doit être une « transition juste ». Ils misent sur une « réindustrialisation » verte, menée de concert avec les entreprises et les partenaires sociaux. « C’est une façon constructive d’approcher la crise, en démontrant qu’on prend au sérieux l’urgence climatique, mais en respectant les inquiétudes des gens », note Johan Sjölander, directeur du think tank suédois Tiden. L’équilibre est particulièrement compliqué pour les travaillistes norvégiens : s’ils ont beau mettre en avant leur engagement en faveur d’une économie et d’une société décarbonées, ils refusent de fixer une date de fin pour l’exploitation du gaz et du pétrole.
Le profil vert de tous ces gouvernements, dirigés par les sociaux-démocrates, doit beaucoup à leur alliance avec les formations écologistes, au sein de coalitions gouvernementales ou au Parlement. Car, autrefois hégémoniques en Suède, au Danemark ou en Norvège, les partis à la rose ont désormais bien du mal à dépasser 25 % des suffrages, dans un paysage politique fragmenté, d’une très grande volatilité, limitant leurs marges de manœuvre.
« Quand il est question du modèle nordique, de l’Etat-providence et des effets bénéfiques des services publics, nous sommes en permanence sur la défensive et nous sommes vus comme une force de statu quo », déplore Mikko Lievonen, directeur du groupe de réflexion finlandais Kalevi Sorsa Foundation. « Il faut que les sociaux-démocrates redeviennent une force de changement », affirme-t-il.
Plus qu’une réinvention idéologique, il est question d’un retour aux sources. A Göteborg, Magdalena Andersson a cité des idéologues tels que Nils Karleby, Ernst Wigforss et Hjalmar Branting, tous nés au XIXe siècle. Helle Klein, rédactrice en chef du journal ouvrier suédois Dagens Arbete, trouve séduisante la référence à Ernst Wigforss, ministre des finances de 1932 à 1949 et père fondateur du Folkhemmet, la « maison du peuple » : « Grâce à sa politique de crise et un programme gigantesque de réformes, on a pu construire une société égalitaire et dissiper le désir d’autoritarisme. Dans le contexte actuel, où la démocratie est en jeu, ce sont des initiatives de ce genre dont nous avons besoin, qui permettent aux gens de ressentir une certaine confiance en l’avenir et se sentir inclus. »
Mais, dans les cercles sociaux-démocrates, l’optimisme reste mesuré. « Ce n’est pas parce que nous avons quatre premiers ministres sociaux-démocrates en Europe du Nord que nous pouvons mettre nos peines de côté et imaginer un avenir brillant, sans ne plus y penser », estime Jan-Erik Stostad, secrétaire général de Samak. Car, si la social-démocratie semble connaître une renaissance, c’est aussi à la faveur de ce qui ressemble à une crise existentielle de la droite traditionnelle en Europe.
Les sociaux-démocrates au pouvoir dans les pays nordiques
Pour la première fois depuis 2001, les sociaux-démocrates gouvernent simultanément dans les quatre pays de l’extrême-nord de l’Union européenne.En Suède, les sociaux-démocrates gouvernent depuis 2014, au sein d’une coalition avec les Verts jusqu’en novembre 2021, et seuls depuis. Fondé en 1889, le parti à la rose a été au pouvoir soixante-huit des quatre-vingt-cinq dernières années. Depuis le 4 novembre, il est dirigé par Magdalena Andersson qui a succédé à Stefan Löfven. Lors des dernières législatives, en 2018, ce dernier avait obtenu 28,3 % des voix. Dans ce pays de 10 millions d’habitants, 19,7 % de la population est née à l’étranger. En 2021, la Suède a accordé l’asile à un peu plus de 12 000 personnes.
Au Danemark, les sociaux-démocrates, menés par Mette Frederiksen, sont revenus au pouvoir en juin 2019, après des élections où ils ont remporté 25,9 % des voix. Le parti, né en 1871, gouverne seul, sur la base d’un accord avec le parti de l’unité (Verts), les socialistes du peuple et les sociaux-libéraux. Sur les 5,8 millions d’habitants du Danemark, 10,4 % sont nés à l’étranger. Sur les onze premiers mois de l’année 2021, 1 829 personnes ont fait une demande d’asile dans le pays, qui a accordé un titre de séjour à 1 089 réfugiés.
En Norvège, dans l’opposition depuis 2013, le Parti des travaillistes, créé en 1887 et dirigé par Jonas Gahr Store, est revenu au pouvoir en octobre 2021, après avoir remporté les législatives avec 26,3 % des voix. Les travaillistes ont formé un gouvernement minoritaire avec le parti centriste, après avoir échoué à intégrer le Parti socialiste de gauche à la coalition. Dans la pétromonarchie de 5,4 millions d’habitants, 14,8 % de la population est née à l’étranger. En 2021, le royaume a enregistré 1 653 demandes d’asile.En Finlande, à l’issue des élections législatives d’avril 2019, qu’il a remporté avec 17,7 % des voix, le leader social-démocrate Antti Rinne a pris la tête d’un gouvernement de coalition, formé avec les centristes, la Ligue verte, l’alliance de gauche et le Parti populaire suédois de Finlande. Forcé de démissionner en décembre 2019, il a été remplacé par sa ministre des transports, Sanna Marin, qui lui a également succédé à la tête du parti fondé en 1899. 6,6 % des 5,5 millions d’habitants sont nés à l’étranger. Le pays a accueilli un millier de demandeurs d’asile en 2021. (Anne-Françoise Hivert Malmö, Suède, correspondante régionale du journal Le Monde)
A noter qu’en Finlande, la première ministre social-démocrate Sanna Marin ( 2e à partir de la droite) dirige un gouvernement de coalition comprenant quatre autres partis, tous dirigés par des femmes (photo ci-dessus) de moins de 40 ans ! Nous, on écrit ça, on écrit rien !!
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