#Théâtre : « Il n’y a pas de #Ajar », Monologue contre l’#identité, un texte de Delphine #Horvilleur

A l’heure où l’on brûle des corans en Suède, on égorge des professeurs en France, on agresse des écrivains aux Etats-Unis, on rétablit le délit de blasphème au Danemark, où l’on assassine pour des caricatures, où l’on tue un peu partout dans le monde au nom de Dieu, il faudrait lire, traduire, jouer dans tous les théâtres ce texte de Delphine Horvilleur, écrit pour le théâtre: « Il n’y a pas de Ajar, monologue contre l’identité » (Editions Grasset)
Monologue contre tous ceux qui savent ce que Dieu veut, contre « tous ces gens autour de nous, obsédés par leur identité, tout en étant incapable de la définir, mais qui la lient à quelque chose de leur origine, de leur naissance, de leur ethnie, de leur ‘race’, de leur genre, de leur ressenti. »  avertit Horvilleur.
Le spectacle tourne en France actuellement et Francofil a assisté à l’une des représentations.au Théâtre de l’Atelier à Paris. (voir les lieux et dates sur envotrecompagnie.fr)

Delphine Horvilleur est la figure en France du judaïsme libéral (progressiste). Elle est rabbin, conteuse, écrivaine et philosophe, ancienne journaliste et directrice de revue. Elle mène notamment des ateliers d’étude de la Bible et du Talmud qui réunissent chaque mois des centaines de personnes.
Dans ce conte philosophique, Horvilleur donne la parole à un personnage fictif, Abraham Ajar, qui serait le fils imaginaire d’Emile Ajar, lui-même écrivain-fantôme inventé par Romain Gary (qui reçut ainsi en 1975 un second Prix Goncourt pour La Vie devant soi.). Elle imagine un monologue durant lequel ce personnage revendique sa « non existence », lui le fils d’un père qui n’a jamais existé et qui porte le prénom du père de tous les croyants… 

Horvilleur projette son lecteur dans l’univers de l’écrivain, questionne la Bible, la mystique ou l’humour juifs, et surtout, interpelle sur les débats d’aujourd’hui. Le texte aborde une foule de faits récents et sujets de société, de l’idolâtrie à l’appropriation culturelle, du combat contre le racisme et à la transidentité, des enjeux qui se laissent aujourd’hui tristement affaiblir par une pensée figée qui assigne et catégorise. « J’ai imaginé que cet homme/fiction littéraire avait donné naissance à un être qui nous parle aujourd’hui : de politique et de religion, de la force de la littérature ou de la vulnérabilité de nos narcissisme ».

Pour Delphine Horvilleur, Romain Gary est « une clé pour nous aider à traverser ces temps d’obsessions identitaires »
« Il y a plusieurs années de cela, j’avais proposé qu’on place une nouvelle fête dans nos calendriers civils et religieux. Aux côtés de la Pâques (chrétienne ou juive), je souhaitais voir figurer une fête de « pas que », une journée par an où l’on se souviendrait qu’on n’est « pas que »… On n’est pas que juif, pas que musulman, pas que chrétien, pas que français, -pas que suédois_NDLR-, pas qu’homme ou femme… Tandis que nous étouffons sous les assignations communautaires, les obsessions identitaires, et tout ce qui nous enferme avec « les nôtres », il m’est soudain apparu qu’un homme détenait une clé pour nous faire penser. Cet homme s’appelle Ajar, Il est l’homme qi n’a jamais existé qui n’est jamais « que » ce qu’il dit qu’il est. »

C’’est une femme, la comédienne Johanna Nizard qui incarne magnifiquement cet enfant du siècle, être indéfinissable,, femme ou homme, maître ou esclave, chrétien, juif ou musulman… et qui veut désamorcer les tensions identitaires, dans un monde et un temps qui les exacerbent toutes. Elle se transforme de manière époustouflante, en Abraham Ajar,  l’insaisissable qui célèbre le pouvoir des livres et des histoires qui construisent et transforment les êtres.
« Un seul(e)-en-scène s’invite à nouveau dans mon parcours sous une tout autre forme avertit Johanna Nizard, autrice et actrice de théâtre et de cinéma, réalisatrice et metteuse en scène, Une forme qui interpelle, tutoie, interroge, provoque et critique de manière ouverte et acerbe notre société… Delphine Horvilleur repousse toujours les limites, pour provoquer plus grand que soi, pour faire surgir autre chose que ce que nous croyons être. Elle invite tous les spectateurs, croyants, non-croyants, à s’exiler d’eux-mêmes, à partager sa vision d’un théâtre qui parle de notre époque avec un humour rageur et ravageur, en se penchant sur le passé pour mieux construire demain« . Parfois excessif  : « Un bon traumatisme, ça s’imprime sur plusieurs générations. Ca dégouline sans gêne. Mais s’il n’y avait pas eu la Shoah, on aurait jamais pu le savoir. On doit tant à l’Allemagne.. ! »
« L’humour est une affirmation de supériorité de l’homme sur ce qui lui arrive » martelait Romain Gary



Formidablement incarné par Johanna Nizard, sur cette scène du Théâtre de l’Atelier transformée en cave toute noire, savoureusement écrit par Delphine Horvilleur , ce binôme autrice/actrice, aidé du co-metteur en scène Arnaud Aidigé et du dramaturge et psychanalyste Stéphane Habib, fonctionne à l’envie, avec éclat et irrévérence.

Au Théatre de l’Atelier jusqu’au 1 octobre, puis en tournée dans toute la France jusqu’au printemps 2024. Voir les dates sur envotrecompagnie.fr . Durée 1h15.

Crédits photos: Pauline Legoff