Tout le monde en parle, on emboîte le pas. Il est d’ailleurs plus que temps de rendre hommage à Stieg Larsson, l’auteur de Millenium, le polar le plus lu actuellement dans le monde. Stieg Larsson n’est malheureusement plus là pour assister au succès (exploit, triomphe, réussite… les mots sont faibles !) de sa trilogie (Les hommes qui n’aimaient pas les femmes, La fille qui rêvait d’un bidon d’essence et d’une allumette et La reine dans le palais des courants d’air), fauché qu’il fût en 2004 par une crise cardiaque à cinquante ans.
Laissons aux critiques littéraires l’exégèse de ce polar « sociologique » aux intrigues à suspense qui passionnent ceux qui les ont dévorées, pour nous attacher à l’histoire dans l’histoire : la succession de l’oeuvre de Stieg Larsson. Un héritage pour le moins mouvementé, digne d’un polar, d’où il ressort que la compagne de Stieg, Eva Gabrielsson, avec qui il a vécu pendant 32 ans, n’a aucun droit sur le patrimoine laissé par l’auteur à succès étant donné que le couple n’était ni marié, ni pacsé, ni lié par un contrat de concubinage.
L’héritage revenant légalement au père et au frère de Stieg Larsson qui n’ont nullement l’intention de partager quoi que ce soit. Une situation qui remet en perspective le droit de succession en Suède, un droit qu’Eva Gabrielsson ne souhaite pas laisser en l’état et oeuvre pour que la loi soit modifiée. Une lex Larsson ! Elle a, pour se faire, établi un contact avec une député du parti de la Gauche, LiseLotte Olsson qui, au sein de la commission des questions relatives à la sécurité sociale, a elle-même proposé un projet de loi plus en phase avec les us en cours. La situation politique actuelle (gouvernement de centre droit ; une alliance quadripartite : Modérés, Libéraux, Centristes et Chrétiens démocrates) laissant malheureusement peu de place à des changements structuraux, les Chrétiens démocrates (travail, famille, patrie !) s’arcboutant à leurs valeurs sur l’union légitime d’un homme et d’une femme (civile et religieuse) et ne voulant rien concéder à l’institution sociale.
Tout à perdre et rien à gagner. C’est que le magot est gros ! À ce jour, plus de 12 millions d’exemplaires ont été vendus ! « Ce n’est pas pour l’argent que je me bats, constate amèrement Eva Gabrielson, mais pour le principe. Nous vivons encore aujourd’hui sous des lois dignes du Moyen-âge. Stieg m’aurait soutenu dans ce combat sur l’évolution des moeurs. C’est pour sa mémoire que je ne laisserai pas les choses en plan. » Car il ne s’agit pas seulement de succession, mais aussi de la passation du droit de propriété intellectuelle. Vaste tâche en perspective !
La pilule est d’autant plus amère que ce sont les services de la sûreté suédoise (Säpo) qui avaient recommandé à Stieg Larsson et Eva Gabrielsson de ne pas se marier, du fait que Stieg était responsable et rédacteur en chef de la revue Expo, un magazine dénonçant les exactions des groupuscules néo-nazis et les agissements de l’extrême droite en général. En clair, le patron d’Expo courait un danger permanent et, par delà même, sa femme. « Stieg et moi habitions ensemble, mais son nom ne fi gurait pas sur la boîte aux lettres de notre appartement. La transparence en Suède a parfois du bon, mais dans le cas de recherche d’adresse, c’est franchement trop facile de retrouver quelqu’un par le biais du fichier des impôts, par exemple… Cela ne nous a pas empêchés de recevoir des menaces de la part de groupuscules d’extrême droite ! », constate Eva Gabrielsson. Une situation extraordinaire qui exigerait en toute logique un traitement particulier de la part de l’État ? Mais, les conseilleurs ne sont pas les payeurs… La loi n’a pas prévu d’exceptions pour ce type de cas, rien à espérer de ce côté là !
Eva Gabrielsson n’a donc, au regard de la loi actuelle sur les successions, aucun droit sur l’héritage de son compagnon de toute une vie, Stieg Larsson. Par surcroît, les héritiers – le père et le frère du défunt – ne veulent même pas entendre parler d’elle. « J’ai essayé de les contacter quelques mois après la mort de Stieg, pas de réponse. Ma soeur a arrangé une rencontre dans le Nord peu de temps après qui a tourné court, le frère de Stieg m’ayant dit en substance : ‘Tu auras droit à quelque chose le jour où tu épouseras mon père !’. Autant dire, tu peux toujours courir !’ Je ne comprends pas leur attitude franchement hostile, leur déni de notre vie en commun… Stieg doit se retourner dans sa tombe ! Heureusement qu’il n’assiste pas à ça, il en aurait été malade ! » Eva Gabrielsson a récupéré de justesse l’appartement qu’elle et Stieg avaient acquis quelques années plus tôt. « Les ayants droit ont dû penser qu’ils me faisaient un cadeau royal ! » Légataires qui se complaisent à répandre par voie de presse qu’ils ne comprennent pas Eva dans sa requête ?!? Plus cynique, on trépasse !
Les chances qu’Eva Gabrielsson hérite sont donc hyper minces, mais elle a décidé de ne pas se laisser faire. « C’est d’autant plus rageant que Stieg avait décidé de se faire une retraite avec Millenium ! Il avait prévu d’écrire dix polars, une décalogie (?). On avait des projets… Le premier ouvrage était destiné à fi nir de payer l’appartement, le second aurait permis l’accession d’une ‘stuga’ dans l’archipel, le troisième aurait servi à renflouer Expo, le quatrième était destiné à une organisation caritative, le cinquième etc., etc., c’était bien planifié… »
À propos d’un quatrième tome de Millenium, Eva Gabrielsson reconnaît que feu son compagnon avait commencé de s’y atteler. L’équivalent de deux cents pages sont dans un ordinateur lui ayant appartenu. Il va sans dire que l’ordinateur est en lieu sûr. C’est le trésor de guerre d’Eva Gabrielsson. Les héritiers le lui réclament mais elle n’a nullement l’intention de leur confier : « Je ne veux parler de cela, c’est trop tôt. Mais une chose est certaine, cette épure ne sera jamais publiée. » L’histoire se déroulerait au Canada sur une île…
Cette succession sulfureuse a également connu un mini rebondissement lorsque Eva, fouillant dans des papiers et photos ayant appartenu à Stieg peu après sa disparition, déniche une enveloppe « à n’ouvrir qu’en cas de décès », contenant un « testament » stipulant qu’il léguait ses biens (maigres à l’époque) à une fédération de travailleurs communistes de sa ville natale d’Umeå. Stieg Larsson était parti en reportage en Éthiopie et craignait alors ne pas revenir vivant de l’expédition. Ce document n’ayant pas été rédigé en présence de témoins, il y a peu de chance que sa valeur juridique soit reconnue. Mais sait-on jamais ? Dans le roman noir comme dans la vie, ce sont les surprises qui rythment le suspense !
Stieg Blomkvist-Salander
« Les personnages et les situations de la trilogie ne relèvent pas uniquement de la fiction. Bon nombre d’acteurs de Millenium sont des gens que nous connaissions Stieg et moi, quant aux circonstances, la plupart sont tirées du réel. L’imagination féconde de Stieg a fait le reste ! Ainsi, Lisbeth Salander, c’est Stieg quelque part : son acharnement à fouiller systématiquement pour découvrir… C’est aussi Mikael Blomkvist et ses investigations… », confesse Eva Gabrielsson. Propos confi rmés par un proche de Stieg Larsson . « Stieg, c’était une véritable encyclopédie sur pattes. Il était très érudit et intéressé par tout. L’histoire des fl eurs au début de Les hommes qui n’aimaient pas les femmes, c’est du Stieg tout craché ! C’était un phénomène, ce type ! » C’était aussi un homme de conviction : « Nous étions sur la même longueur d’ondes, reprend Eva Gabrielsson. Il était du Nord, comme moi, nourri de socialisme et de cet esprit particulier qui forge les gens de cette région, peu loquaces, un tantinet taciturnes, généreux pour la fratrie –sauf qui vous savez -, les pieds sur terre…nous nous entendions très bien. »
Chez Norstedts, l’éditeur de Millenium, Viveca Ekelund et Eva Gedin, responsables de l’édition qui ont eu affaire avec Stieg Larsson ne tiennent pas à aborder la question de l’héritage se contentant de ratiociner que « nous nous conformons scrupuleusement à la loi et traitons donc avec les héritiers légaux », mais se souviennent néanmoins – et pour cause ! – de leur rencontre avec l’écrivain : « Habituellement, les auteurs viennent nous voir avec un projet en tête. Stieg, lui, est arrivé avec la trilogie complète ! On a tout négocié dans la bonne entente, même les droits pour le film et les séries télévisées. Tout s’est passé de façon irréprochable. Stieg était parfaitement satisfait. Sa disparition est une tragédie à plus d’un titre ! », fait valoir Viveca Ekelund.
Cinq ans après la disparition de Stieg Larsson, le bilan de Millenium est plus que satisfaisant. Les livres continuent à se vendre à un rythme exponentiel, et le film, Les hommes qui n’aimaient pas les femmes qui a connu un énorme succès d’estime dans les pays nordiques, devrait, selon toute vraisemblance, être tout aussi apprécié ailleurs. Par surcroît, les deux autres titres qui devaient faire l’objet d’une série télévisée seront proposés comme fi lms. Seul bémol à la saga, Eva Gabrielsson devra attendre pour obtenir justice, si jamais elle réussit à arracher une décision des tribunaux. Il lui faudrait une Lisbeth Salander qui pourrait, grâce à ses disquisitions informatiques, influer sur la rédaction des lois.
Un comité de soutien à Eva Gabrielsson vient de se créer sur vwww.supporteva.com
Les derniers articles qui sont publiés sur le sujet approchent la situation d’un angle totalement opposé. Le père et le frère auraient fait en sorte de trouver un arrangement avec Eva qui, elle, aurait refusé tout dialogue… Qui croire ?