A chaque lendemain d’Eurovision, la même rengaine revient : « c’est truqué, c’est pas juste». Les téléspectateurs aguerris ne peuvent ignorer les votes de sympathie et de copinage des pays participants. En effet, depuis ses débuts, le concours de l’Eurovision reflète les affinités entre les pays. C’est du moins ce que révèle une étude réalisée par Gabriel Felbermayr, professeur à l’université de Tübingen, et Farid Toubal, professeur d’économie à l’université d’Angers, dans laquelle on apprend qu’il ne sert à rien de bien chanter, mieux vaut avoir les bons voisins.
Vote pour ton voisin
Le concours a eu lieu pour la première fois en 1956, à l’époque seuls six pays y participaient, rejoints rapidement par l’ensemble des États de l’ouest. L’Eurovision s’est développé sur le même processus que l’Union Européenne, en intégrant les pays. Les années 1990 ont vu l’arrivée massive de pays d’Europe de l’Est, parallèlement à la fragmentation du bloc soviétique. Plus le nombre des pays membres de l’Eurovision a augmenté, plus le vote est devenu dépendant des affinités politiques et culturelles entre les pays, et de l’entente aux frontières. Ainsi, la France, la Belgique, le Luxembourg et la Suisse d’une part, l’Allemagne, l’Autriche et la Suisse d’autre part ont toujours fonctionné sur le mode de « votes privilégiés », se soutenant mutuellement. Plus largement, on peut identifier des blocs régionaux au sein desquels les votes privilégient les pays voisins géographiques, culturels et politiques : le vote balkanique (les Serbes votent pour les Croates, les Bosniaques et les Slovènes), le vote des pays de l’ex-bloc soviétique, le vote scandinave, tous fonctionnent selon cette règle de voisinage. A l’Eurovision, le vote est également conditionné par l’existence de diasporas, comme en France où le soutien à l’Arménie est fort, ou encore avec le vote de l’Allemagne à la Turquie.
L’Eurovision, tribune des rivalités
Mais l’Eurovision n’est pas une simple réunion de pays qui viennent, entre amis, se divertir et où l’on se salue poliment. Elle révèle en effet des rivalités et des tensions. Ainsi, la Turquie et Chypre ont toujours voté l’un contre l’autre. La France, quant à elle, a toujours eu tendance à réduire le score moyen de la Grande-Bretagne alors que celle-ci est plutôt neutre à son égard.
D’autre part, certains scores sont fortement corrélés à des événements politiques ponctuels. C’est le cas du score médiocre de la Grande-Bretagne en 2003, lors de son entrée dans le conflit irakien, ou encore du vote de sanction des Polonais à l’égard de la France après les propos sur « le plombier polonais ».
Le cas particulier des pays de l’Ex-bloc soviétique
Les pays de l’ex-bloc soviétique entretiennent une relation ambiguë avec la Russie. Si sur la scène internationale, les pays préfèrent mettre leur mécontentement en sourdine, l’Eurovision est une sorte de catharsis et va jusqu’à devenir une véritable tribune pour faire passer des messages à la Russie. En 2007, le représentant de l’Ukraine chantait « Lasha Tumbai », une expression mongole interprétée par beaucoup comme le message subliminal sonore de « Russia Goodbye ». Que l’incident soit volontaire ou non, le message a été relayé dans la presse européenne, et la carrière du chanteur a pris fin en Russie, alors qu’il était, avant l’Eurovision l’un des plus appréciés des Russes. L’opposition de la Géorgie à la Russie lors de l’Eurovision de 2008, quelques mois à peine après la guerre militaire en Géorgie, est encore plus emblématique. L’Ukraine a refusé de changer les paroles de sa chanson (« we don’t want to put in »), jugées politiques par le jury, « Put in » faisant référence au Premier Ministre russe, Vladimir Poutine. Le pays a boycotté la compétition.
httpvh://www.youtube.com/watch?v=LV1_s73fI-U
Le choix des langues
Si le vote par proximité géographique et culturelle domine, certains pays n’hésitent pas à sortir la carte de la langue depuis que le règlement de l’Eurovision laisse libre choix aux participants. L’an dernier le concours se déroulait à Moscou et on a vu à cette occasion de nombreux pays de l’ex-bloc soviétique chanter en russe plutôt que dans leur langue, ou en anglais, estimant la victoire plus certaine de la sorte.