Dans les coulisses de l’Opéra

Il trône, magistral, sur les bords du lac Töölönlahti. Le bâtiment de l’Opéra National de Finlande, inauguré en 1993, fait s’affoler les chiffres : 40 000 mètres carrés de verre, béton et bois abritent une population de 600 travailleurs permanents. Ils sont chanteurs, musiciens, danseurs mais aussi techniciens, et leur travail agrégé ravit 300 jours par an une moyenne de 300 000 spectateurs. Le FRANCOFINN’, qui s’est glissé au cœur de cette énorme machine culturelle, vous emmène à cour et à jardin…

L’instant est presque solennel. La lourde porte s’ouvre et voilà la scène, immense. Pas côté public, depuis l’un des 1300 fauteuils du principal auditorium, mais côté coulisses, entrée des artistes…nous sommes SUR la scène, face à l’immense salle vide, surplombant l’orchestre déserté pour l’heure par les musiciens. Il n’y a là qu’un ballet de techniciens qui s’affairent autour des décors du spectacle à venir, et voilà qu’une mer bleue descend du ciel, pendant qu’une forêt, soudain suspendue, rejoint les hauteurs cachées de l’Opéra. Heidi Almi, l’attachée de presse, ne cache pas sa fierté, et s’amuse de la perplexité grandissante du visiteur tandis qu’elle poursuit l’énoncé des statistiques et guide son petit monde vers les ateliers. Décors, costumes, tout est « fait maison », au sein même de ce bâtiment où s’entrecroisent toutes les familles de métiers, de la petite main couturière au menuisier robuste.
C’est un dédale de couloirs, d’étages, de coins et de recoins. Heidi Almi elle-même n’est parfois plus très sûre d’où elle se trouve exactement, et consulte un plan à l’occasion. Les loges défilent. Celle des danseurs, maquilleurs et autres coiffeurs, on lit le nom d’un dramaturge sur une porte, et puis les bureaux, nombreux et plus anonymes. L’Opéra, c’est aussi une intendance, une administration exigeante. Incursion dans la blanchisserie, ses énormes tambours et ses bacs encore teintés des derniers essais de couleurs. Plus haut, un danseur s’étire à même le sol. Derrière lui s’ouvre la plus grande salle de répétition, qui s’enorgueillit des exactes mêmes mensurations que la scène, soit 20 mètres par 25. « Cela paraît logique, mais c’est un luxe », confie l’attachée de presse…Miroirs et barres pour des heures de labeur.

« Une fourmilière de talents, pour tendre vers la perfection »

Ici, chacun a son domaine réservé, qui permet à chaque art de s’exprimer sans gêner l’autre. Les chanteurs disposent d’un amphithéâtre à l’acoustique étudiée, les musiciens de leur immense espace insonorisé, tout près derrière la scène.

Au rayon confection, l’incroyable fourbis de perles, pierres, bijoux et rubans, recyclés et combinés à l’infini pour agrémenter robes et tutus. Un rêve de petite fille prend forme avec cette pièce croulant sous les tiares…Et puis soudain, la salle des costumes et ses allures de caverne d’Ali Baba, ses couturières qui disparaissent sous le tulle et les paillettes. Des esquisses au crayon, des modèles innombrables qui prennent corps grâce à un bataillon de fées du fil. Chaque costume est au minimum réalisé en double, car un même rôle est joué par deux artistes différents. Ne pas se perdre dans les mesures de chacun doit relever du miracle, pourtant l’atmosphère est studieuse, calme, pas enfiévrée… « Ce n’est pas toujours comme ça », sourie Heidi Almi. Dans ce grand atelier on coud, repasse, dessine, répare, tout se doit d’être parfait chaque soir. « C’est à ça aussi que tient la beauté d’un opéra » souligne notre guide. Les costumes, un élément majeur, énorme part du rêve pour lequel chaque spectateur débourse jusqu’à 80 euros par billet.

« L’Opéra National de Finlande prend un essor international »

Car oui, le rêve a un prix. 50 millions de budget annuel pour cette petite ville du spectacle, dont 75% sont des fonds étatiques. Seuls 17% des revenus de l’opéra sont imputables à la vente des billets. L’Opéra, à la pointe de la culture finlandaise, n’a pas toujours connu ce faste. Depuis 1919, l’Opéra National de Finlande lançait ses productions depuis le Théâtre Alexandre, dans le cœur de ville de Helsinki. Mais bien que rénové dans les années 50, le vieux théâtre russe, aux mesures réduites, n’offrait pas les infrastructures adéquates à de tels spectacles et ne permettait surtout pas l’essor qu’a pris l’Opéra National de Finlande depuis 1993 et sa nouvelle résidence. Aujourd’hui sur la baie de Töölönlahti, on accueille une vingtaine d’opéras par saison, et environ huit ballets, dont de fréquentes premières. L’accent est mis sur la création et la promotion des productions nationales, l’Opéra est fier de pouvoir proposer chaque saison à son public au moins une première mondiale d’opéra finlandais. Pour autant, de telles infrastructures réveillent intérêts et ambitions internationaux. Le répertoire s’élargit, tant côté ballet que côté musique, l’Opéra National de Finlande multiplie ses contacts à l’étranger et compte aujourd’hui en ses murs de nombreux artistes venus d’ailleurs. « Pas moins de 17 nationalités composent le Ballet National de Finlande », annonce Heidi Almi, alors que la visite prend fin, dans la cafétéria réservée au personnel.
L’Opéra, un monde cosmopolite où se mêlent en parfaite harmonie les cultures, les arts et les langages du corps, les jambières et les bleus de travail, dans un même souci commun d’atteindre la perfection : et si c’était vrai ?

Kareen Guillaume (journal de février 2006)

www.opera.fi