Alcest, concert à Helsinki, le 29 septembre 2010 : La messe est dite

Depuis le vingt-trois de ce mois, célébrant l’équinoxe d’automne, il n’est de secret pour personne que l’été a bel et bien quitté les plaines et les bois de Finlande. Crépuscule après crépuscule, la nuit se fait plus pressante, et une brise froide venue du nord rappelle à tous que l’hiver sera là bien assez tôt sur les côtes de la Baltique.

De gauche à droite : Indria / Guitare-Basse, Neige / Chant et Guitare, Zero / Guitare et Chant et enfin Winterhalter / Batterie

C’est par cette atmosphère toute propice à la maraude émotionnelle que le groupe francilien Alcest va, pour la toute première fois, se prêter à l’expérience scénique au sein du pays des mille lacs. Situé à Sörnäinen, quartier évoquant étrangement le Paris populaire, se trouve Kuudes Linja, hôte de l’événement. Le club, spacieux et étonnement propret se remplira progressivement d’une conséquente cohorte composée, pour la plupart, de jeunes gens vêtus de noir dont tous attendent la venue sur scène du groupe.
Car, Alcest, mine de rien, est probablement le groupe français qui a le plus fait parler de lui au delà des frontières hexagonales ces dernières années.
Issu de la bouillonnante scène métallique française, Neige, compositeur multi-instrumentiste et fondateur d’Alcest a en effet rencontré un succès inattendu à travers un projet qui se voulait au départ bien plus confidentiel. Débutant comme un projet de métal extrême alliant à la fois violence sonore et crudité du son, Alcest a bien évolué depuis sa création, il y a dix années de cela. À travers deux albums presque unanimement acclamés (« Souvenirs d’un autre monde » en 2007 et « Écailles de Lune » cette année) pour leur musicalité unique, alliant des guitares métallisantes à des atmosphères ethériques, Alcest est devenu un représentant majeur de la musique populaire française.
Rien d’étonnant donc, que la salle de concert soit si pleine ce soir. D’après le groupe, environ 250 personnes se pressèrent dans la fosse pour profiter au mieux de l’événement. Certains, tout comme votre serviteur devaient être plus que curieux de voir et d’entendre quelle forme la musique d’Alcest allait prendre dans sa version scénique.
Toutes craintes d’assister à une interprétation approximative de titres souvent hautement atmosphériques quittent tous les esprits dès l’accord introductif du premier morceau, « Printemps Emeraude », également titre d’ouverture du premier album. Les guitares tout d’abord, sont puissantes, heavy à souhait, le grain transcrit parfaitement le coté onirique qu’elles adoptaient en format physique. Neige a, de plus, fait preuve de doigté en choisissant son second guitariste, Zero, musicien plus que compétent à qui Neige a également confié la responsabilité de créer avec lui les harmonies vocales si caractéristiques au groupe.
Les titres passent et ne se ressemblent pas. Sur certains, Winterhalter, responsable de la batterie, porte la musique sur des rythmes apaisés (« Souvenirs d’un autre monde ») alors qu’à d’autres occasions, il n’hésite pas à nous rappeler que la célérité extrême caractéristique du métal n’empêche pas une grande subtilité. En témoigne l’aisance impressionnante avec laquelle il parvient à garder le rythme en toute circonstance tout en agrémentant son jeu d’improvisations fortes à propos. Sur le coté gauche de l’étroite scène, Indria, bassiste de son état, emplit l’espace du son de sa guitare-basse. Tout comme Winterhalter, Indria est issu de la frange la plus extrême du métal. Ils partageaient déjà la rythmique à l’époque de leur participation au groupe « Peste Noire » et y avaient gagné une réputation d’excellence dans leurs domaines respectifs. Durant le concert, Indria restera néanmoins dans la mesure, emplissant l’espace de basses fréquences à travers un jeu aux doigts se voulant fluide et toujours parfaitement adéquat (« Les Iris »).
Devant tant de professionnalisme et de talent, le public finlandais est vite conquis. Celui-ci restera malgré tout relativement tranquille, aucun mouvement de foule ne venant troubler la quiétude quasi religieuse qui semblait s’être emparé des corps et esprits des spectateurs. D’après Winterhalter, ce genre d’attitude posée et respectueuse est typique des concerts d’Alcest, atmosphère qui correspond mieux à la musique du groupe que les beuglements alcoolisés que l’on peut souvent entendre lors des concerts métal.
Malgré tout, si le public reste relativement calme durant la prestation du groupe, il ne manque pas de lui communiquer son enthousiasme à travers de puissantes salves d’applaudissements à la fin de chaque titre. Le groupe en revanche, reste très discret, limite timide, avec Neige n’annonçant pas les titres des morceaux et se limitant à deux « Merci » (dont un « Kiitos ») lors de la soirée. Cette retenue de la part du chanteur guitariste n’est pas étonnante quand on prend en compte le degré de concentration nécessaire à l’exécution de certains titres, d’autant plus que son jeu est, à l’image de celui de ses camarades, extrêmement propre et précis.
Le concert continue donc son déroulement sans aucun accros, les spectateurs réagissant de manière très positives aux titres du nouvel album : « Océan couleur de fer » et surtout « Percées de lumière » alliant magistralement un riff à la couleur presque new-wave à un chant écorché impressionnant d’intensité. Ce sera en revanche, sur un titre du premier maxi du groupe, « Le secret » que les armes seront enfin déposées. « Elévation », mise en musique d’un poème de Baudelaire, achèvera de sa délicatesse la résistance des plus sensibles. Alors que Neige reprend à plein poumon les vers du poète, que les guitares créent un malstrom étouffant, la batterie de Winterhalter, sur un rythme effréné, assène l’estocade. Chaque coup du maestro sur sa caisse claire semble être dirigé directement vers notre cage thoracique, enfonçant le cœur et les organes concomitants encore un peu plus profondément. Délicieuse suffocation et ultime conclusion. Alcest, sur la route d’un pèlerinage sonique était venu nous prêcher la bonne parole, il conquit nos âmes aisément. Ite Missa Est, La Messe est dite.

Texte et photo : Lyonel Perabo