Wimme au Savoy : un éclectisme épique

Comme Le Francofil’ vous l’avait annoncé il y a de cela quelques jours, ce lundi 7 février vit le prestigieux Théâtre Savoy accueillir Wimme Sari et son groupe pour un concert magistralement mené et aux nombreux rebondissements.

C’est dans la grande salle de spectacle, celle qui était auparavant utilisée pour la projection de films, que le groupe est censé se produire. Même si quelques sièges vides dans le fond de la salle montrent que ce soir le concert ne sera pas sold-out, il n’en reste pas moins qu’environ 300 personnes ont fait l’effort de venir pour écouter et acclamer le groupe. Peu de jeunes gens dans la salle mais beaucoup de quinquas. Il semblerait qu’à Helsinki les fans de Wimme soient plus à chercher du côté des amateurs de Jazz et de musiques du monde, une audience mi-branchée mi-bobo qui tranche assez nettement avec celle des provinces samies du nord où Wimme est une sorte de héros populaire.

Après que tout le monde ait pris sa place, les lumières se tamisent graduellement, jusqu’au point où les seules sources de luminosité soient les projecteurs illuminant la scène. Celle-ci, recouverte d’une subtile couleur saphir du plus bel effet fait ensuite place aux musiciens. À gauche de l’audience, un Saxophoniste chauve. À droite un guitariste chauve. Au fond de la scène, en une intéressante dichotomie capillaire, siège un percussionniste aux longues dreadlocks brunes. Le groupe commence à jouer. Le percussionniste saisit un large et court tambour et commence à battre le rythme. Il devient évident dès les premières secondes que le gaillard est un musicien de haut niveau ; bien que ne faisant usage que d’une seule main, il parvient à créer un nombre impressionnant de schémas rythmiques tous parfaitement exécutés. Le guitariste commence alors son jeu. Usant d’une guitare acoustique au corps creux, il débute par plusieurs séries d’arpèges jazzy tous effectués aux doigts. Comme son camarade, il prouve être un musicien de haute volée et tient le rythme sans jamais faillir. Le saxophoniste quant à lui semble être chargé de remplir l’espace de basses fréquences, ce qu’il effectue sans peine. À certains moments, son instrument monte dans les aigus pour saisir un discret motif, lui aussi d’une nette obédience jazz.
Arrive enfin Wimme, vêtu de sa Gàkti brune. Il entre sur scène, comme à son habitude, discrètement et avec une tasse de thé dans les mains. Puis vient le chant. Ce Yoik graveleux, tellement organique. Wimme a peu d’égaux dans cet art subtil qui consiste à allier un ton dramatiquement bas à des envolées lyriques proprement majestueuses. Le chant se marie parfaitement avec l’instrumentation qui continue sans coup férir. La chanson se termine et les applaudissements commencent. Pour ceux qui en auraient douté, Wimme est dans la place !
Le set continue ainsi, alternant des titres toujours aussi Jazzy à d’autres aux consonances bien plus spirituelles. Les musiciens font ainsi preuve d’une ingénieuse polyvalence. Le percussionniste d’abord, use de tout un tas de baguettes, pédales et autres maracas pour offrir une grande variété de sonorités au public. Également en charge des samples (généralement de discrètes nappes de clavier ou encore des beats électroniques), il parvient même à manipuler un microphone pour transformer une simple frappe de sa main sur son genou en un solide instrument rythmique. Le guitariste n’a également aucun problème à varier son jeu. En sus de sa guitare qu’il maîtrise à la perfection, il met autrement en pratique sa technique du banjo sur le titre « Ho Paris! », une agréable pièce jazz musette non dénuée d’humour. Il peut faire preuve d’un intense sens de la mélodie. À plusieurs reprises il prendra dans les mains un minuscule ukulélé et, défiant, en sortira des arpèges d’une beauté cristalline que l’on n’aurait pas pensé pouvoir être issu d’un tel instrument.

L’autre point fort de la soirée fut incontestablement la présence de plusieurs invités. Alors que Wimme se prêtait à l’exercice du Yoik solo, imitant entre autres divers animaux difficilement identifiables, un bruit retentissant se fit entendre sur un côté de la scène. Quelques instants après, un étrange bonhomme jouant du saxophone arriva sur scène. Lui et Wimme se mirent à jouer ensemble, les soli free-jazz du musicien se mariant presque trop bien avec le Yoik minimaliste de Wimme. Ce gracieux souffleur de corne prêta également son assistance au groupe lors du morceau suivant en accompagnant la chanson de son saxophone ténor.
Un second invité fit ensuite son arrivée. Un grand type baraqué avec une petite queue de cheval blonde et une barbe [j’appris par la suite qu’il s’agissait de Paleface, un rappeur reconnu en Finlande]. Il se mit rapidement à chanter dans un style ragga-rap plutôt fluide. Reste qu’il était quelque peu surréaliste de voir un rappeur blanc aux cheveux longs poser son flow finnois au côté d’un groupe de jazz mené par un Yoikeur sami. Reste que l’expérience fut assez plaisante. L’audience répondu également plutôt positivement aux nombreuses blagues et autres anecdotes comiques offertes par Wimme durant le concert, il est bien connu que Wimme, s’il peut paraître assez brut de décoffrage à première vue, est un plaisantin à l’esprit plus que bon enfant.

Après environ une heure et demie de concert et un rappel, le groupe quitta la scène pour de bon. Le concert, magistral, ne souffrit d’aucune faiblesse et présenta la véritable facette de ce projet musical, une fusion incroyablement réussie de sonorités jazz et de mélodies hypnotisantes. Le seul reproche qui pourrait être fait à cette prestation autrement irréprochable est la disposition de la salle ; alors que de nombreux morceaux du groupe se prêteraient bien volontiers à faire se mouvoir les foules, les places assises limitent quelque peu cet élan de folie. Mais à part ce point de détail cette soirée restera dans la mémoire de tous comme une exceptionnelle célébration de musique, d’art et de vie.

Photo : Linnea Nordström