On ne présente plus Christiania, la communauté autonome hippie qui a tant ajouté au charme libertaire traditionnel du royaume du Danemark. Cette joyeuse expérimentation anarchiste située au plein cœur de la capitale danoise pourrait en revanche voir son 40ème anniversaire coïncider avec ses funérailles. Alors qu’un jugement de cour a confirmé, il y a quelques jours, l’inexistence légale d’une Christiania indépendante, ses habitants craignent de voir arriver la fin de l’utopie.
Le jugement, daté du 18 février fut mornement accueilli par les habitants et les sympathisants de la communauté. Et pour cause, la cour statua en ce jour sur l’appel qu’avaient lancé les habitants de Christiania au sujet de la révocation de la loi de 1989 concernant le statut de la communauté. Cette loi, qui donnait officiellement droit aux habitants de Christiania de jouir de leur propriété collective fut de fait révoquée en 2004 par le gouvernement qui commença à cette époque, à s’intéresser de près à l’avenir de la commune. À la suite de cette offensive législative, les habitants de Christiania attaquèrent l’État en justice, clamant que la révocation de la loi de 1989 était tout sauf légale. Déboutés lors du procès initial, ils en appelèrent à l’arbitrage de la Cour suprême qui, ultimement, se prononça en leur défaveur.
Ce n’est pourtant pas la première fois que la communauté danoise se retrouve dans le pétrin depuis sa création en 1971 mais il pourrait cette fois bien s’agir de la plus grande menace que la communauté de quelque 800 âmes ait à surmonter.
Fondée en 1971 par une bande d’idéalistes hippies, la création de Christiania est à relier aux mouvements utopiques et anarchistes que la révolution culturelle post-soixante-huitarde a indirectement déclenchés. Centrée sur un terrain d’infrastructures militaires inoccupé, la communauté était dès le départ pensée comme une expérimentation contre culturelle basée sur l’indépendance, la solidarité et le refus de la société capitaliste.
Durant les premières années de son existence, le défi majeur posé à Christiania fut celui de la drogue. Alors que les drogues dures causèrent plusieurs décès à la fin des années 70, la tolérance les concernant bascula bientôt vers la dénonciation et celles-ci furent officiellement bannies de la commune. À la suite de ce problème finalement surmonté, la question de la criminalité fut, dans les années 80, une autre question à résoudre. En effet, ce furent durant ces années qu’une guerre d’influence entre gangs de motards autour du trafic de drogue fit rage dans les milieux souterrains de Copenhague. Bien qu’un premier temps happée par ces turbulents troubles, Christiania finit par se positionner clairement contre les activités criminelles des motards, refusant, à partir de ce moment la présence des mafieux en motocyclette.
Malgré ces quelques problèmes qui furent résolus en temps et en heure, Christiania bénéficia néanmoins d’une jeunesse relativement paisible et, tandis que les clubs de Jazz, les théâtres et les étals de cannabis attiraient exponentiellement touristes et passants, Christiania semblait protégée des turpitudes du monde capitaliste moderne.
Cette situation pour le moins enchanteresque finit malgré tout par se heurter à la dure réalité d’une société adjacente aux idéaux bien moins fleuris. En 2004, l’État danois se lança ainsi dans une campagne de tolérance zéro à l’encontre de la communauté et des activités à la légalité douteuse qui y avaient trouvé refuge. Après avoir démantelé le commerce illégal de cannabis, le gouvernement se mit à penser à un développement immobilier moderne pour le voisinage. Prévoyant la destruction de nombreuses constructions illégalement implantées au sein de la forteresse du XVIIème, les politiques commencèrent à lorgner avidement sur les opportunités de développement immobilier de la commune. Avec une valeur estimée entre 100 et 1000 millions de couronnes (entre 13 et 135 millions d’euros) la zone pourrait rapporter un certain pécule à l’État, propriétaire officiel des lieux.
Après le jugement du 18 février, il semblerait bien que l’âge d’or de Christiania appartienne au passé. Déjà, à la suite du démantèlement du trafic régulé de cannabis, la communauté commença à faire l’expérience de la violence mafieuse venue des autres districts de la capitale. Bien que les habitants de Christiania n’aient plus d’autre choix que de revenir à la table des négociations, les « Christianites » ne sont maintenant guère plus qu’en position d’avaler tout ce que l’État leur prescrira, y compris la plus amère des pilules.