Interview de KYPCK : bienvenue en Soviet-Finlande !

Interview de Erkki Seppänen (chant), Sami Lopakka (guitare) et J. T. Ylä-Rautio (basse) du groupe KYPCK

Tout d’abord, comme LeFrancofil n’est pas plus un magazine métal que musical, comment décririez-vous la musique de Kypck à nos lecteurs néophytes ?

Erkki : Nous sommes un groupe qui chante en russe jouant une forme extrême de musique lente, lourde et désespérée. Un tank abandonné au milieu de la forêt sibérienne abritant d’étranges choses grandissant en son sein. Laid, terrifiant mais étrangement beau.
Lopakka : Si vous êtes à la recherche de musique festive, la porte de Kypck est probablement la dernière que vous devriez ouvrir. Si vous appréciez la rouille, la mélancolie et le désespoir, bienvenue. Nous pouvons promettre que cela ne sonnera comme rien de ce que vous avez entendu auparavant.

Kypck a été décrit par un webzine français comme pratiquant du métal de sous-marin, pensez-vous qu’une telle étiquette vous convienne? Ou peut-être n’accordez-vous pas trop de crédit aux étiquettes de manière générale ?

Erkki : Heh, non, je ne suis pas trop fan des genres et des étiquettes. J’appelle juste ca métal. Parfois je sens que les gens qui sont obsédés par les catégories sont restés bloqués dans la phase d’étiquetage dont les enfants font l’expérience vers l’âge de 2 ans. Il faut savoir quand s’arrêter sinon ca devient inutile.
Lopakka : Les genres sont juste des mots qui essaient de capturer la musique. Et ils ne peuvent jamais…

Le concept du groupe est clairement lié, de très forte manière, à l’esthétique et au paysage mental du monde soviétique, étiez-vous déjà fascinés par cet univers ou est-ce que le concept émergea de lui-même avec l’évolution du groupe ?

Erkki : Un peu des deux je pense. Bien que j’ai étudié l’Histoire, la Littérature et la Culture russe pendant presque 10 ans et que c’est ainsi que j’ai rejoint le groupe. J’ai obtenu un diplôme de russe à Oxford et ai vécu à Moscou et Saint-Pétersbourg pendant quelques années. Cette image était donc déjà quelque chose d’assez proche de moi. Avec le groupe nous nous le sommes bien évidemment appropriée tout en apportant pas mal d’idées et de touches personnelles comme la guitare en forme de kalachnikov etc… mais j’apprécie la forte présence visuelle du groupe. C’est extrêmement utile pour un artiste scénique d’avoir ça.

Depuis la seconde guerre mondiale la Russie soviétique a été largement méprisée en Finlande, il y a-t-il eu un évènement ou une influence particulière qui vous a fait changer d’avis à propos d’elle ? Qu’elle est la réaction du Finlandais moyen quand il rencontre l’image et le concept du groupe ?

Erkki : La réaction de l’homme moyen est tellement moyenne que c’en devient inintéressant – on peu la deviner. De mon côté, il n’y a jamais eu aucune animosité envers la Russie. Mes 2 grands-pères se sont battus lors de la guerre, d’abord contre les Russes et ensuite contre les Allemands, mais ils ne furent jamais des gens amers. C’était la vie à cette époque. Je suis donc toujours un peu surpris quand des gens se moquent des Russes à propos de ci et de ça. Ca semble étrange au vu du fait que la plupart des gens de Finlande ne connaissent vraiment rien à propos de ce pays. Je pense que c’est surtout de la peur dissimulée venant de l’ignorance, pas du mépris.
Lopakka : Je pense aussi que ces thèmes ne devraient pas être “interdits” dans l’art, ou n’importe quel thème par ailleurs. Peu importe ce que fut l’histoire entre les pays. Ca me parait quelque peu absurde que, après 60 ans, on devrait apprendre, “par tradition” à haïr nos voisins de l’Est. Merde au cul ! Y-a t-il vraiment des gens pour attaquer Rammstein à cause de ce que fit Hitler ? Ou un réalisateur italien à cause de Mussolini ? Les vieilles barrières devraient être jetées aux nues. Nous devrions aller de l’avant, et non regarder en arrière.

La première chose que j’ai ressentie en écoutant votre premier album, ce fut le froid, comme si je faisais face à un gigantesque complexe militaire au beau milieu d’une tempête de neige quelque part entre l’archipel François-Joseph et Arkhangelsk. Quel genre de sentiments désirez-vous créer ou partager avec à votre musique ?

Erkki : Et bien, ce que tu as décrit est un bon début ! Je ne suis pas certain de savoir comment répondre à ça de manière générale sinon que nous voulons créer une musique d’une lourdeur écrasante mais également mélodique avec les histoires et les atmosphères tournant autour de la grande culture de Russie.
Lopakka : Le genre musical de ce groupe est à trouver dans l’écrasante lourdeur, le chagrin et l’agonie suprême à un tel niveau que cela en devient presque quelque chose de positif. Ta description est donc un compliment, heh !

De manière plus détaillée, vers quoi les paroles des morceaux se concentrent-elles ? Y-a t-il eu quelques évolutions entre vos deux albums ?

Erkki : Les thèmes sur le 1er album étaient principalement la religion, la trahison, la solitude et la dégradation humaine. Il y avait également 2 chansons “ 1917” et “Stalingrad” qui faisaient spécialement référence au destin et à la souffrance de quelques personnes individuelles en Union Soviétique, toutes les deux basées sur des histoires vraies. Sur le 2ème album, les thèmes de la religion et de la trahison ont disparus mais la solitude, le désespoir et la déchéance ont été creusés. L’accent est thématiquement placé sur la Russie du 18 et 19ème siècle, nous sommes donc allés plus loin dans l’histoire.

Pourriez-vous parler plus en détail de votre nouveau CD ? Quel a été la plus grande différence entre l’enregistrement de Черно et Ниже ?

Erkki : Et bien la plus grande différence est que nous en savions plus sur ce que nous faisions ! Le premier album était clairement une nouvelle bête pour nous tous mais avec celui-ci nous avions plus d’expérience du son, de l’odeur et du sentiment de KYPCK. Черно fut également enregistré très très rapidement, ce qui tout du moins pour moi en tant que chanteur, fut assez inconfortable. Tous les vocaux furent mis en boite en une journée et demie. L’idée était de rendre la souffrance audible sur les vocaux et bien mon grand, c’est audible ! J’ai haï le processus. Avec Ниже nous avons pris plus de temps pour composer, répéter et pour le processus d’enregistrement, c’est pourquoi le résultat est un petit peu plus, euh… organique peut-être ?

Qu’en est-il du processus d’écriture des morceaux ? Aviez-vous de nouvelles idées que vous vouliez expérimenter, un son particulier que vous vouliez créer ou est-ce que les morceaux sont arrivés naturellement ?

Erkki : Oui c’est le cas. Comme je l’ai déjà dit, au niveau des paroles, je voulais aller plus profondément dans l’Histoire russe, c’était donc clair dès le départ. De même que pour la musique, Sami et moi en avons beaucoup parlé après les concerts que nous avons donnés en Russie, avant que nous ne commencions à travailler sur du nouveau matériel. Nous voulions faire glisser notre attention sur des chansons plus longues comme Черная дыра (Chernaya Dyra / Le trou noir) sur Черно et également se risquer à des arrangements moins typiques. Ce fut donc planifié jusqu’à ce point. Ma vision vit le jour à travers После (Posle / Après), le premier véritable morceau de l’album qui a une structure très variée, des vocaux parlés mixés avec du chant, une chorale, etc…

Il semblerait que vous avez rencontré quelques problèmes à trouver un label pour sortir l’album, pourquoi donc ? N’auriez-vous pas pu simplement sortir Ниже sur UHO productions comme vous aviez fait pour Черно ?

Erkki : Malheureusement UHO prit quelques mauvaises décisions et est parti en banqueroute ! Notre album marcha plutôt bien chez eux mais je suppose que ce ne fut pas le cas de certains autres. Ce n’était donc pas une option. Nous avons serré les paluches d’un “major-label” multinational mais au final je pense qu’ils ont eu peur parce que nous sommes si anti-commerciaux et si peu sexy qu’ils sont juste enfuis, malgré le fait d’avoir passé un pré-accord. Putain de merde, enculés ! C’est le truc avec les labels de nos jours, ce n’est pas suffisant que votre groupe fasse de l’argent – ils veulent que vous fassiez des putains de tonnes d’argent, ce que nous n’allions évidemment pas faire avec ce genre de musique.

Vous n’avez jusqu’ici pas beaucoup donné de concerts, vous sentez-vous confiants pour le tour russo-finlandais du mois de mars ? Avez-vous des plans pour vous produire dans d’autres pays étant donné que ça n’a pas encore été le cas ?

Erkki : Oui, très excités à propos des concerts. Ça a été une longue pause. Mais nous avions décidé de nous focaliser sur le nouveau matériel et l’avoir essayer avant de donner de nouvelles représentations. Je suppose que nous voulions faire de ces concerts des occasions spéciales, mais c’est génial de sortir à nouveau et montrer comment même ce type de matériel fait réellement son effet sur scène ! Nous avons discuté avec des organisateurs tout autour de l’Europe mais rien n’est pour l’instant confirmé. Je veux définitivement nous amener là-bas.

(Question pour Erkki) Tu es l’auteur et le chanteur du groupe. Bien que ton russe soit quasiment sans défauts, j’ai entendu des personnes russophones dire que les paroles du premier album étaient un peu scolaires, as tu pris une approche différente pour les paroles du nouvel album ?

Erkki : Non, pas vraiment. Je lis encore beaucoup de livres, heh ! C’est mon éducation oxfordienne, je ne peux pas y échapper.

(Question pour Sami) Tu joues avec une guitare électrique dont le corps est composé d’un authentique fusil AK-47. Est-ce que cela a créé des problèmes au moment de passer la frontière ? Et, est-ce que l’étrange forme du corps a changé quelque chose dans ton jeu ?

Lopakka : Et bien non, pas encore de problèmes pour amener la guitare de l’autre côté de la frontière mais je suis sûr que ce n’est qu’une question de temps. J’ai un document de la part du luthier prouvant que toutes les parts du fusil ont été désactivées mais je ne suis pas sûr que ce sera suffisant dans l’avenir. Je promets qu’au moins j’essaierais de la prendre avec moi à chaque fois que nous irons à l’étranger ! La guitare en elle-même est, au niveau du jeu, crois-le ou non, le meilleur instrument que je n’ai jamais eu. J’ai du changer un petit peu l’approche de ma main droite parce qu’il n’y a pas de corps de guitare pour la supporter mais au final cela ne fut pas un gros problème. Elle ne sonne ni ne ressemble à quoi que ce soit que l’on puisse acheter dans un magasin de musique normal, et c’est ce qui est plus important pour moi qu’une question de jeu.

(Question pour J.T. Ylä-Rautio) Tu es le seul membre du groupe qui n’est pas listé comme ayant auparavant joué dans un groupe de métal, comment en es-tu arrivé à te joindre à cet étrange compagnie ? Et, quel est le plus gros défi quand, comme toi, on joue d’une basse qui n’a qu’une corde ?

Ylä-Rautio : J’ai joué dans The Skreppers avec Hilli (batterie) depuis 2000. Avant ça j’ai eu quelques groupes mais on n’a jamais sorti quoi que ce soit. Un jour avec Hilli, on conduisait nos scooters, j’étais sur le Tunturi (marque finnoise de vélomoteurs) de mon grand-père et il a commencé à pleuvoir. J’ai lâché les gaz pour m’abriter sous un pont et on a commencé à parler à propos d’un groupe de Doom avec lui. Pour moi, je crois que KYPCK est en quelque sorte le résultat de cette balade en scooter. Le plus important défi quand on joue avec une basse à une corde est qu’on ne peut briser sa seule corde si on n’a pas une basse de rechange. Mais pas de soucis, j’en ai une.

Vous vendez d’authentiques masques à gaz russe sur votre site-internet. Où est-ce que vous les avez trouvés ? Est-ce que vous les avez volés à Impaled Nazarene ? Y-a t-il qui que ce soit qui en ait achetés ?

Lopakka :
Hah ! Allez, les masques à gaz vont encore mieux à KYPCK que les t-shirt de groupes normaux ! Ils ne connaissent pas un grand succès commercial mais il y a eu un bon nombre de personnes qui ont été très intéressées et en ont acheté comme une sorte d’objet de collection. Je copossède en fait une compagnie de merchandising appelée Northern Tribe (qui s’occupe également du merchandising de KYPCK), j’ai ainsi de bonnes connexions pour choper des trucs authentiques et inhabituels.

Vous développez une image sombre et totalitaire comme une extension du concept du groupe mais je suis sûr que vous avez aussi des moments de folie. Y-a t-il d’étranges évènements qui sont arrivés au groupe qui vous font rire encore aujourd’hui ?

Erkki : Je crois que la plupart d’entre nous ont un sens de l’humour tellement morbide que nous rigolons tout le temps. Il y avait un moment sur scène à Moscou lorsque nous jouions quand un gosse, peut-être âgé de 7 ans, monta sur scène pour offrir une cigarette à Hilli.. “Quoi ?”
Lopakka : En Russie, ils ont aussi cette tradition d’offrir des fleurs aux artistes. Ca me fait halluciner – on chante à propos des évènements les plus horribles de l’histoire de l’humanité, on projette des images de Staline et ils nous amènent… des fleurs ?

Quelle est selon vous l’endroit le plus “doomy” de l’URSS ? Le métro de Moscou (sur lequel et basé l’esthétique du nouvel album) ? Aimeriez-vous donner un concert dans un tel endroit ?

Erkki : Nous avons rêvé de Mourmansk depuis un bon bout de temps et espérons de fait y jouer plus tard dans l’année…
Lopakka : Celle-là est facile pour moi. L’attraction touristique numéro 1 dans mon livre : le site de Tchernobyl et la ville fantôme aux alentours, Pripyat. Une ville qui, fut un temps, abritait 50.000 habitants et maintenant, putain de zéro. Les bâtiments sont encore là. Je VAIS bientôt y aller. Avec un peu de chance, nous pourrions y aller avec tout le groupe et prendre les plus impressionnantes photos de groupe jamais vues. Hah !

Quel est votre support favori pour écouter de la musique ? CD ? Vinyle ? Cassette ? 8 Mp3 ? 8 pistes ? Vous n’avez également sorti vos albums qu’en formats Cd et Mp3, avez-vous des plans pour exploiter les autres supports pour les promouvoir ?

Erkki : Je n’écoute quasiment que des CDs même si j’ai récemment acheté un Iphone, je l’utilise dans la voiture étant donné qu’en hiver, le lecteur CD n’arrête pas de geler… Je crois que Sami a des plans pour sortir les deux albums de KYPCk en Vinyle.
Lopakka : Je préfère les versions Vinyle principalement pour la pochette mais ils ne sont malheureusement plus trop fabriqués à notre époque. Je me rends compte que le Mp3 est l’avenir mais ce ne m’intéresse pas – tu sais, se concentrer sur des morceaux séparés plutôt que sur un album. Le véritable art est selon moi, l’album dans son intégralité et pas un simple morceau ou quoi que ce soit d’autre. Les singles sont juste de la publicité pour l’art véritable qui est l’album.

La Finlande est un pays dans lequel la musique métal est considérée comme étant une musique populaire. Quels sont les avantages et les inconvénients de cette situation ?

Erkki : Les avantages résident dans le fait que l’on attire plus facilement l’attention et qu’il y a un groupe de personnes assez actives qui suit la scène. Le mauvais côté est peut-être, que certains groupes développent des concepts assez creux et des chansons typées pop et “déguisent” ça en métal en y apportant quelques sonorités.
Lopakka :
En Finlande il y a même une “Star’Ac” métal. Des groupes de “Métal” jouant des chansons pour enfants… putain je déteste ça, il n’y a rien de positif là dedans.

Quels sont, selon vous, les meilleurs et les pires groupes finlandais en 2011 ? Quels sont les groupes ou les musiciens qui poussent le métal à avancer aujourd’hui ?

Lopakka : Je préfère toujours ceux qui amènent le métal vers des sphères encore inexplorées. Des groupes uniques. Pour ce qui est du meilleur étant connu internationalement, je dirais Amorphis. Ils ont été là depuis longtemps et ont toujours fait leur propre truc. Pour ce qui est du pire, toujours internationalement reconnu il s’agit de… Stratovarius. Ca ne marche pas avec moi et ça n’a jamais été le cas. C’est naze et prévisible. Pour moi, 95 % de la musique est de la grosse merde ces temps-ci. Tu dois faire beaucoup d’efforts pour trouver ce qui vaut la peine d’être écouté.

Finalement, si il y a quelque chose que vous voudriez dire à nos lecteurs qui n’a pas été abordé auparavant, je vous laisse le dernier mot.

Erkki: Ne le dites à personne mais la camionnette sur l’affiche de notre poster est en fait française, pas russe. Mais je ne dis ça qu’à nos amis Français.
Lopakka : Ouais, c’est un véhicule militaire Renault de 1971 ! Le meilleur véhicule dans lequel je ne me suis jamais assis… merci pour l’interview, en espérant vous voir en concert un jour en France…

L’album Hиже est sorti février, vous pouvez vous le procurer à travers le site officiel du groupe.
KYPCK sera en tournée à partir de la fin du mois. Si vous vous trouvez en Finlande ou en Russie vous pourrez trouver les dates de concert sur leur site internet.

http://www.kypck-doom.com/
http://www.myspace.com/kypck
http://www.northern-tribe.com/store/index.php?main_page=index&cPath=90_93

Photos : KYPCK