Totalement jazzimuté à Stockholm !

Sony Rollins ou Skrot-Nisse

Sony Rollins ou Skrot-Nisse

La tradition perdure… encore pour combien de temps ? Mystère… En attendant, à la mi-juillet depuis maintenant 26 ans, le jazz (et ses variantes connexes) s’impose sur l’île de Skeppsholmen à Stockholm. Rebaptisé Sthlm Jazz Fest cette année par ses nouveaux proprios, le festival de jazz et de blues a pleinement donné la dimension de ses prétentions. Superbe affiche sur cinq jours du festival et super prestation des artistes invités (50). Par surcroît, le temps était (presque) de la partie (musicale)… Rain, rain, go away, come again an other day !
Deux bémols cependant, les prix prohibitifs d’entrée (la carte à 1 995 :- SEK pour les cinq jours, ou les 700 :- SEK pour la journée !), et le capharnaüm pour l’accès à la troisième scène sise à l’intérieur du musée d’Art moderne (surveillance quasi policière pour ne pas dépasser le quota de 300 places autorisées par les pompiers. Résultat : des queues interminables et pas mal de frustration chez les refoulés).
Le premier jour du festival était consacré au blues (rock, rhythm & blues gospel, soul, funk…). Clou de la soirée : The blind boys of Alabama. Du haut gospel. 40 ans qu’ils se produisent, ça s’entend, c’est rodé comme les soupapes d’une Oldsmobile à la main.
Allen Toussaint a toujours une pêche d’enfer, à croire qu’il passe 24h/24 avec son piano. Être né à la Nouvelle-Orléans doit faciliter les choses…
Little Feat ! Si, si, ils sont toujours là, sans Lowell George naturellement, c’est funky en diable, ça ne se veut rien d’autre qu’un bœuf entre potes, ça mitonne comme un bœuf mironton.
Dr John est un excellent toubib pour la musique. Il la soigne avant qu’elle ne tombe malade, deux cuillères à soupe de Voodoooo matin et soir, ça vous requinque un piano…
Du côté des artistes suédois, les compositions d’Elin Larsson et son sax sont loin de laisser indifférent l’appareil auditif. Le mélange country-jazz-soul-funk qu’elle délivre est hyper original et digne des plus grands noms du jazz. Une saxophoniste à retenir… Larsson, elles ne sont pas légion !

Les deuxième et troisième journées se voulaient jazzy : cool, free, be-bop, hot, gospel, ragtimes, etc… Palle Danielsson Quartet « Contra post », dopé d’avoir reçu le prix du meilleur band suédois pour l’année 2009 par SR, la radio suédoise, s’est libéré total et a commis un incroyable « Aurora Borealis ». Pas étonnant que ce bassiste ait joué avec Keith Jarett, Jan Garbarek, Bobo Stenson et consorts.
Un autre suédois et sa formation ont fait swinguer grave le public sur fond de samba-funk-jazz, le saxophoniste Magnus Lindgren « Batacuda Jazz ». Herbie Hancock et Barbara Hendricks ne s’étaient pas trompés de lui avoir donné sa chance. Encore un qui souffle le chaud (Brésil) et le froid (Suède) !
Mike Stern et son groupe sont des habitués de Stockholm. Mike Stern y a joué notamment avec Miles Davis. Sacré meilleur guitariste de jazz dans les années 1990, Mike Stern sait toujours causer couramment guitare. À noter qu’il adore le New Morning (club de jazz) à Paris. Ça n’ajoute rien, mais c’est sympa de le savoir.
On en est presque venu aux mains pour assister au concert de Nguyen Le Saiyuki Trio qui était donné dans l’auditorium du musée d’Art moderne. Trois lascars qui réinventent le jazz à la sauce world music. Ngûgen Le est né à Paris de parents vietnamiens, il est guitariste, un magicien du son, Mieko Miyazaki est Japonais, il joue du koto et Prabhu Edouard tape sur des tablas. Total magique… Pourquoi ça s’arrête !
Et puis, en fin de soirée, à la fraîche, The So What Band sur le thème Kind of Blue du nom d’un album de Miles Davis sorti il y a un demi-siècle, avec, entre autres, Jimmy Cobb, 80 ans aux prunes, à la batterie ! Une légende vivante qui a joué avec Miles Davis, Sarah Vaughn, Dizzy Gillespie, Billie Holiday, pour ne nommer qu’eux ! Quand le jazz se fait chattemite…

Vendredi, rebelote, du jazz à gogo… avec… Yeah ! Sonny Rollins dans ses œuvres. En forme l’hédoniste qui ressemble de plus en plus à Skrot-Nisse (personnage de BD suédoise). Même barbe, même démarche mal aisée, même look saxé… Improvisation sur thème, c’est le plat favori du vétéran qui souffle dans son sax depuis plus de cinquante ans et qui a décroché le prix Polar en 2007. Seul point noir, le passage à 23 heures trente de la légende avait rebuté pas mal de monde… Dommage, vu le prix des billets ! Mais bon, il avait la baraqua, alors pour ceux qui sont restés, la scène était plus accessible…
Le Sud-africain Abdullah Ibrahim et son trio n’étaient pas là pour rigoler. Ils étaient en mission. Leur concert, Jacaranda Blue, dans l’auditorium du musée d’Art moderne, était leur contribution aux 91 printemps de Nelson Mandela. Après un préambule de l’ambassadeur d’Afrique du Sud en Suède rappelant les hauts faits du Gandhi africain, Abdullah Ibrahim s’est installé au piano et a servi ses compositions non-stop durant une heure et demie. Un accessit à George Gray, batteur de la formation. Jouer de la batterie avec autant de retenue relève d’une pratique du hatha-yoga à très haute dose ! Musique très émouvante, envoûtante, longiligne. Beaucoup de temps pour rêver ! L’âge leur sied bien aux Africains du sud. Mandela appréciera…
Kira-Kira est Islandaise. Ce n’est pas Björk, mais elle aussi raconte des sagas en les chantant. Elle est très appréciée au Japon, en Chine, en Asie en général. Beaucoup de choses multimédiatiques sur scène. Ça fait brouillon au départ et puis on s’y fait. Quand on vient d’Islande, on n’est forcément pas comme les autres, on est sujet à des montées de magma, à des phénomènes post-volcaniques inexpliqués… Bref, dépaysement auditif assuré.

Les deux derniers jours du raout jazzy se voulait consacrés à la soul. Là aussi, c’était copieux.
Timbuktu, Titiyo, Estelle, Gilberto Gil, pour faire court, le samedi. Le rappeur scanien Timbuktu a démarré dans le hip-hop ; aujourd’hui il flirte avec la folk, le blues, les sonorités jamaïcaines et africaines de l’ouest. Un mélange juteux suprêmement délectable. Une valeur suédoise très très sûre dans le Landernau hip-hopien, les rappels en témoignaient…
Le fait d’être la fille de feu Don Cherry ne change rien à la situation. Titiyo est l’une, sinon la meilleure des chanteuses suédoises de R&B et de techno-soul (avec sa sœur Neneh Cherry). Quelle voix, quelle présence ! Et puis, Come along, on ne s’en rassasie pas ! Quant à Longing for Lullabies de son dernier album Hidden, c’est carrément le délire ! Pourvu qu’elle soit là l’an prochain !
Gilberto Gil… pas besoin de s’étendre. Rien que son nom appelle déjà la samba…. À rappeler quand même que lui aussi a décroché un prix Polar, en 2005. Au premier accord de guitare, la pluie s’est invitée. Jamais un festival sans un grain un jour ou l’autre… Protégé par le chapiteau, Gilberto Gil a redoublé de vigueur pour scotcher les spectateurs dégoulinants. Faut dire que lorsqu’il veut s’en donner la peine, salsa bouge pour le Brésilien !
Quelle bonne idée d’avoir invité la nouvelle reine de la soul anglaise, la britannique Estelle. Son American boy s’incruste dans les neurones et ne peut s’en extraire ! Beaucoup d’improvisation, imper mastic, voix d’ange, la pluie… Quelle pluie ?

Dimanche… Trois formations à se remémorer : Joss Stone, Raul Midón et Erykha Badu.
Encore une souliste britannique. Joss Stone possède une voix lactée qu’elle sait moduler aux tempos du R&B. À 22 ans, une voix aussi posée, ça en impose ! On a eu droit a pas mal de morceaux de son dernier album Introducing Joss Stone. Swinguante lascive, voire brutalement déchaînée… difficile à caser !
Si Titiyo remporte le pompon chez les femmes, c’est sans conteste Raul Midón qui le décroche chez les messieurs. Aveugle de naissance, Raul Midón, seul en scène, est un homme orchestre qui couvre pratiquement tout le spectre de la palette musicale ! Décoiffant de vitalité ! Quand sa guitare ne lui suffit plus, il joue du sax, de la trompette ou de la flutte traversière avec sa bouche ! Un brutal de l’acoustique. Raul Midón interprète ses propres compositions. Save my life de son dernier album A World Within A World indique clairement une inclination pop de l’artiste. Mal voyant qui s’y entend très bien !
C’est la diva américaine Erykha Badu qui a eu l’honneur de clore le festival 2009. ¾ d’heure de retard durant lesquels le groupe qui l’accompagnait a trouvé le temps de rendre hommage à Michael Jackson en poussant à fond les basses. À 30 mètres de la scène, les tripes gigotent, la glotte vibre et le cerveau cogne ! Pourquoi la Terre bouge ? Le genre soul cool nécessite des basses, les fans d’Erykha Badu n’ont pas été bassement servis… Chapeau haut-de-forme, perruque plastique entourant son visage enfoui dans le col d’un imper mastic (ça à l’air d’être l’uniforme incontournable, à moins que la pluie… ?), Erykha Badu s’est fait ovationner par les centaines d’ados et d’ados + qui tenaient à ne pas la manquer. Superbe concert, « I love Stockholm ! » et tout et tout… Hip-hop, jazz, funk, soul, tout y est passé. Un pot-pourri qui résumait à lui seul les cinq jours de la fête du jazz.
En espérant que la nouvelle équipe du festival retombera financièrement sur ses pattes graciles et qu’une 27e prochaine édition viendra ébaubir ces journées de juillet qui, sans le jazz à Skeppsholmen risqueraient d’être par trop paisibles. Pas de Stilla dagar i Stockholm !

JPP

Une réflexion au sujet de “Totalement jazzimuté à Stockholm !

  1. patrick bronner

    Bon mais moi je veux Lisa Nilsson, Victoria Tolstoy, Rebecca Tornqvist, Lisa Ekdahl, oui beaucoup Lisa Ekdahl, Et et…Jay-Jay Johansson