Résumé de l’épisode précédent : notre correspondant, après avoir passé une nuit houleuse à bord d’un train de nuit en partance pour Rovaniemi a réussi à parcourir plus de 200 kilomètres en quelques heures grâce à la générosité de quelques bonnes âmes locales. Après une petite course de la part d’un homme à la barbe hirsute, il arrive au lieu-dit de Rauhalla…
Quatrième course, Rauhalla-Mu….
Et bien en fait non. C’est comme ça parfois, on peut faire 200 kilomètres en une poignée d’heures et galérer comme un chien pour faire l’équivalent d’un Montpeyroux-Lagamas. C’est la vie. Je me retrouvais donc laissé pour compte dans ce petit croisement, espérant rapidement pouvoir atteindre Muonio où j’ai quelques contacts et peut-être même arriver au Kilpisjärvi avant la nuit… Je faisais alors preuve d’une naïveté que je condamne fermement aujourd’hui. Je sais aujourd’hui que Rauhalla est un de ces endroits que j’appelle dans mon jargon d’auto-stoppeur un « Black Spot ». Ces « Black Spots » (ou points noirs en bon français) ne sont rien d’autre que des manifestations terrestres du monde souterrain. Des abîmes de vanités. Des océans de détresse. Ces « Black Spots » sont, concrètement, ce genre d’endroit dans lequel un nombre TRÈS réduit de véhicules passent et parmi lesquels, aucun n’acceptera de s’arrêter pour vos beaux yeux. Un tronçon de route peut être déclaré un « Black Spot » si en pleine journée et par des conditions météorologiques favorables, personne ne vous prend après une heure de bras tendus. Une fois que vous vous êtes rendu compte de la malédiction qui pèse sur cet endroit impie, une seule solution : fuir. Lâchement. Et dare-dare si je puis dire. C’est ainsi que débuta la première marche de la journée. Une marche que seul un fou ou un être désespéré tel que moi pourrait entreprendre…
Première marche. Rauhalla – Milieu de nulle part, 8 km
Ça ne pourrait paraître pas si difficile que ça au premier abord. Pour un homme robuste et en pleine possession de ses moyens, une petite marche printanière au beau milieu de la Laponie sauvage devrait égaler une véritable partie de plaisir comme un après-midi à la plage ou un dimanche matin pluvieux passé à « comater » devant un écran.
Et bien en fait non. Ce petit tronçon de route maléfique a bel et bien été la plus difficile partie du périple. Il faut dire que le sac que je portais était déjà en partant, particulièrement lourd et inconfortable. Dès les premières minutes je me prends à maudire ma culture matérialiste qui me pousse à conserver mes livres, Cds, cassettes, journaux, images, souvenirs et autres gadgets à la fonctionnalité plus que contestable. Il y a le soleil aussi. Un soleil de plomb, plus chaud que tout ce que j’ai pu connaître depuis l’été dernier, (plus tard je consulterai la météo pour apprendre qu’il faisait plus de 10 degrés…inconcevable). Il me pousse à me débarrasser successivement de mon bonnet, de mes divers gantelets, de mon écharpe…En revanche je n’avais malheureusement pas de place dans mon sac déjà surchargé pour retirer mon long manteau noir (en laine qui plus est). Je marche par salves de 30 minutes, suivies de 10 minutes de pause. Je continue à lever mon pouce par intermittence mais l’espoir disparaît rapidement de ma conscience.
Je commence à calculer que, si je peux faire 3 kilomètres par heure je pourrais atteindre Muonio vers minuit. Ravissante perspective… 30 kilomètres à pied au beau milieu d’une plaine semi-désertique voilà ce qui m’attend. Et les automobilistes ne feront rien pour mettre un terme à ça. J’ai de plus en plus l’impression, au vu du nombre de motoneiges qui arpentent ce coin désert que les locaux ont peut-être plus de considération pour leurs machines que pour l’humanité en général. Un sentiment de misanthropie me gagne peu à peu et des vagues de pensées antihumaines m’assaillent à intervalles réguliers. Il vaut peut-être mieux pour ces impitoyables automobilistes ne pas s’arrêter, peut-être que je suis ce fameux assassin sanguinaire de Laponie après tout….ce genre de rhétorique anti cosmique va et vient entre deux pauses où je consomme un peu de chocolat Fazer que je comptais offrir en cadeau (Entre passer pour un gars bien et passer pour un pouilleux mourant de faim mon choix est vite fait). Mais, incroyablement, après plus de deux heures et demie de marche acharnée, au moment où je n’y croyais plus, arrive une camionnette qui se range sur le bas côté…
Quatrième Course, Milieu de nulle part – Muonio, 20 KM (Mme au grand cœur)
J’ai un peu de mal à y croire moi même mais oui, me voilà sauvé. La quatrième âme généreuse de la journée est une mère de famille nombreuse (d’où le Van) venue passer un peu de temps avec son compagnon se trouvant à Muonio. Mes épaules sont meurtries mais mon âme est apaisée. Je serai bientôt à Muonio. Je pourrai y acheter des vivres et peut-être y trouver un abri pour la nuit. Tout devrait aller parfaitement bien dans le meilleur des mondes (possible).
Débarquant à Muonio, je me dirige d’un pas fébrile vers le K-Market local. Je laisse mon lourd chargement sur le côté et me dirige extatiquement vers le rayon des jus de fruits et des yaourts. Je remplis mes bras de fruits, yaourts, jus et m’autorise même un luxe que je ne m’étais pas permis depuis longtemps, un litre de lait. Juste avant de passer à la caisse j’entends des voix familières. Quelqu’un est en train de parler français, ici, à Muonio ! Je me retourne et engage la conversation avec ce qui apparait être une famille de français venue faire du ski. Amusé par la rencontre, je sors du magasin et déguste avec délice un jus de fruits synthétique Pìrkka (saveur fraise si vous vous demandiez). Tout ravigoté, je me dirige alors vers le petit baraquement préfabriqué où mon contact local réside. Il commence de fait à faire sombre et j’aimerais si possible éviter de passer la nuit sous un abribus. J’aurais en effet la chance d’éviter ce tragique destin mais pas d’une manière que j’aurais envisagé…
(À suivre)