450 kilomètres à pied, ça use, ça use… (Troisième partie)

Résumé des épisodes précédents : Notre correspondant, après s’être prestement échappé du trou noir automobile de Rauhala a réussi, non sans l’aide d’une quatrième âme charitable, à atteindre Muonio où il compte bien passer la nuit. Après s’être ravitaillé en boissons et nourritures diverses il s’engage d’un pas assuré vers la demeure de son contact local…

Il est environ 18 heures et le ciel commence à se faire sombre. Je sais d’expérience que, à moins de tomber sur un camionneur particulièrement affable, personne ne prend d’auto-stoppeurs aussi tard. C’est dommage, dans le meilleur des mondes (possibles) j’aurais atteint le Kilpisjärvi vers les 15 heures et aurait trouvé un sympathique Norvégien pour me ramener directement à Tromsø. Un changement de plan semble nécessaire.

Je me dirige donc vers l’appartement de mon contact local, Mikka (Prénom bien entendu changé… je ne partage pas les « bons plans » si facilement…). Situé non loin de la boutique de souvenir et du restaurant thaïlandais (Superbe image de la mondialisation vous ne trouvez pas ?) le bâtiment en préfabriqué m’est déjà familier. Lors de ma toute première expédition lapone c’était Mikka qui m’avait extirpé des méandres humides de Karesuvuanto et m’avait même offert le gîte pour une nuit (il m’avait également emmené dans un bar pour que je puisse « expérimenter la culture de l’alcool de Laponie ». Je me souviens surtout d’une séance de Karaoké endiablée au son de vieux tubes disco-folk finlandais des années 80… que de souvenirs !).

Bref. Depuis lors, à chaque fois que je passe dans le coin, j’essaie tant que possible de m’arrêter chez lui pour présenter mes respects et évoquer le souvenir du temps qui passe inexorablement.
J’entre donc dans ladite bâtisse. La porte du minuscule bâtiment est, comme à son habitude, ouverte et je m’incruste dans le couloir recouvert de moquette grisâtre et de diverses pièces d’équipement de ski. Après avoir déposé mon chargement non loin d’une paire de grosses bottes hivernales, je toque à la porte.
Rien.
Je retoque.
(Toujours) rien.
« Et m…de » me dis-je.
Réfléchissons. Mikka n’est pas là… mais il m’avait dit que, pendant l’hiver il travaillait en tant que guide touristique dans la région. Il n’est pas encore 19 heures, il va peut-être rentrer d’une minute à l’autre… Je choppe une des nombreuses chaises qui traînent dans le couloir et m’installe devant sa porte. J’ouvre le pack de lait (bien plus facile à ouvrir que les tetra-pack français d’ailleurs) et m’en accorde une bonne lampée. Comme je n’ai rien d’autre à faire et ne dispose d’aucun joujou technologique moderne, j’ouvre mon sac et en extrait un paquet recouvert de papier bulle. A l’intérieur, mes livres-amulettes que je trimballe partout. Si je les ai maudits plus tôt dans la journée, je suis maintenant heureux d’avoir quelque chose à lire qui soit un poil plus romancé que mon dico franco-suédois. Je choisis l’anthologie du théâtre d’Eschylle (édition bilingue, Nouvelle Revue Française, 1967) qui m’accompagne depuis un bout de temps déjà.

« Les Perses », tragédie mettant en scène le conseil des anciens discutant de la destinée de l’Empire perse au moment de défaite de Salamine. Vers la fin de la pièce arrive Xerxès qui intime l’ordre aux vieillards de pleurer la ruine de l’empire en s’arrachant les cheveux.
« Prométhée Enchaîné », tragédie mettant en scène la mise au supplice de Prométhée par Héphaïstos et Kratos (« Le pouvoir » en grec) et les lamentations du Titan auprès d’un chœur d’Océanides sympathiques à son malheur. Io, une des nombreuses amantes de Zeus fait une apparition spéciale où elle reçoit de sombres présages du Prométhée enchaîné…
« Les Sept contre Thèbes », tragédie mettant en scène l’expédition punitive de Polynice venu reprendre le pouvoir à Thèbes des mains de son frère Étéocle. Superbes descriptions des sept guerriers argiens et de leur opposants thébains avant l’annonce de la mort simultanée des deux frères ennemis.
Après j’ai eu, comme qui dirait un petit ras le bol. Presque minuit et toujours pas de traces de Mikka. Je me dirige alors vers la porte d’un de ses voisins (qui avait eu le courage quelques heures auparavant de me demander ce que je fichais ici). Lui et ses jeunes acolytes sont visiblement un brin éméchés. Je leur demande si c’est Ok pour eux de me laisser passer la nuit dans l’enceinte du bâtiment. Ils n’y voient pas d’objections et je sens la crainte de devoir passer la nuit dans un abri bus rapidement disparaître de mon esprit.
Je me prépare donc à dormir. Mais j’ai un plan. Au lieu de passer la nuit sur la moquette du couloir j’ai découvert que le débarras du préfabriqué n’était pas fermé à clef. Je rassemble donc quelques journaux publicitaires et, après avoir bougé deux trois balais et quelques valises vides, j’y installe ma couche. Sur une étagère, une sorte de duvet dans son sac plastique. Je la dépose sur le sol et, en usant de ma cape comme d’une couverture je passe une agréable nuit.
Le lendemain, après avoir pris une petite douche (car en plus des douches qui se trouvent dans chaque chambre il y a même une douche – et un sauna ! – dans la salle de bain commune) et avoir étiré mes membres, je m’attelle à la réalisation d’une nouvelle pancarte, cette fois-ci réalisée à l’aide de vieux journaux et d’une enveloppe blanche usée (Conseil d’ami : le stylo Bic est, après le stylo plume, le pire outil pour noircir des surfaces. Préférez-y le crayon ou mieux, le gros marqueur qui tâche). Je termine mon litre de lait et m’accorde même un yaourt (les Pìrkka à 85 centimes sont relativement Ok vu le prix) avant de me remettre en marche.
Il est 8 heures et demie et j’ai une douzaine d’heures pour faire les 250 kilomètres qui me séparent encore de Tromsø. Je suis (pour l’instant tout du moins) confiant…

(à suivre)

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