450 Kilomètres à pied, ca use, ca use…(Quatrième partie)

Au contraire de la journée précédente, l’air est frais, très frais. En sortant, je jette un coup d’œil sur le thermomètre extérieur indiquant un beau 0 pointé. Le ciel est d’un bleu glaçant et les nuages grisonnant enserrent l’espace d’une manière quelque peu menaçante.
Je sens que je risque de regretter les généreux 10 degrés d’hier …

J’empoigne mon lourd bagage et me dirige vers la Route européenne 8, celle là même qui devrait me mener à Tromsø. « Mimiquant » mon précédent passage sur cette voie, je me place à quelques centaines de mètres du « centre-ville » (si l’on peut parler un tant soit peu de centre ville pour une municipalité dotée d’une densité de 1,26 habitants par km2), passe un panneau publicitaire pour les élections législatives et pose mon sac, comme à l’accoutumée contre un signe d’arrêt de bus.

Il doit être aux environs de 9 heures du matin et je me rends rapidement compte que rien ne doit être plus déserté qu’une route à deux voies en plein cœur de la Laponie dans les premières heures d’une journée d’avril. Bien peu de véhicules font surface et aucun ne manifeste assez de sympathie pour s’arrêter. Je réalise bientôt que cet ultime tronçon autoroutier pourrait se révéler le plus ardu de mon voyage. En réfléchissant 5 minutes, à part une poignée de locaux, personne n’a d’intérêts particuliers à prendre cette route, surtout en direction de Karesuvuanto. Muonio possédant plus d’infrastructures que n’importe quel lieu-dit jusqu’à Kilpisjärvi et étant elle même connectée à la Suède, on se retrouve avec une route désertée que même de courageux norvégiens en quête d’alcool n’emprunteraient jamais (l’Alko le plus proche étant situé à Hetta).

C’est donc en prenant pleinement conscience de la gravité cette situation que je continue, sans coup férir, à lever le pouce. Le ciel est maintenant d’un gris uniforme et un petit crachin rend toute idée d’une confortable attente irréaliste. Au loin, quelques motoneiges se font entendre et l’occasionnelle voiture passe en trombe sans faire attention à ma pauvre petite personne. Au bout d’une heure en revanche, un véhicule s’arrête miraculeusement. Je m’embarque rapidement et découvre la cinquième âme généreuse de mon périple…

Cinquième course, Muonio-Karesuvuanto, (60 km) (M. Casquette)

L’homme en question est un Finlandais souriant à la casquette bien rivetée sur les oreilles. Âgé d’une quarantaine d’années, il conduit un Van spacieux et moderne. Alors que je tente d’entamer un semblant de conversation dans un suédois un peu pouilleux, je me rends compte que j’ai de nouveau à faire à un « Finnish only » chauffeur. Arf. Je ressors les trois mêmes mots de finnois que j’ai déjà ressortis pour Barbe-Rousse (Course numéro 4) et use de mon temps libre pour regarder le paysage.

Les alentours de cette route numéro 8 ne sont pas vraiment folichons et c’est bien le moins qu’on puisse dire. Un nombre anormalement élevé de saules rabougris accompagnés par une poignée de non moins minuscules pins constellent la toundra encore enneigée. Alors que mon sympathique chauffeur tend la main pour m’indiquer l’autre côté de la rivière Muonio, « Ruotsi » (Suède en finnois), je ne peux m’empêcher de penser que la désolation arctique ne connait pas de frontières si haut dans la Laponie sauvage.

Quelques kilomètres après Muonio, nous nous arrêtons quelques instants dans un autre lieu-dit, Sonkamuotka, hameau abritant le fameux magasin « Arctic Knife ». Certainement un des plus impressionnants magasins de souvenirs de toute la Laponie. Outre des costumes Sàmis originaux à 800 euros pièce et quelques milliers d’autres souvenirs en tout genre, le lieu a été rendu célèbre par son mini café dans lequel les voyageurs assoiffés peuvent gouter aux joies d’un café-donut pour le ridiculement modeste prix de 50 centimes.

Mon chauffeur casquetté n’est en revanche pas venu ici uniquement pour profiter de cette offre exceptionnelle. Il charge en effet dans son Van plusieurs sacs de souvenirs (Des T-shirts si je me souviens bien) avec pour mission de les délivrer de l’autre côté de la frontière. Après cette agréable pause, nous reprenons la route. J’en profite pour saisir un exemplaire gratuit de l’Enontekiö-Sanomat et nous voilà repartis. La route à partir de ce point est bien moins linéaire et de nombreux détours sinueux nous amènent de plus en plus profondément vers l’intérieur du territoire.. À part profiter du paysage aussi désertique qu’onirique, je tente encore et encore de communiquer avec M. Casquette. Quelques mots d’anglais et de suédois aident considérablement. Après un très riche échange sur la qualité de la musique finlandaise (Moi : « Finnish music. Good ». Lui : « …. ») il exprime son amour de l’art musical hexagonal à travers un très mignon « Patricia Kaas, Good » qui ne manque pas de me faire sourire. Yle-Lappi (subdivision régionale de la radio nationale) continue de jouer ses vieux tubes finlandais inusables quand nous devons nous séparer. Je débarque à Karesuvuanto, Finlande tandis qu’il se dirige vers Karesuando, Suède. La frontière est à quelque 90 kilomètres, je peux presque voir la crête des montagnes scandinaves se dessiner dans l’horizon nuageux… j’y suis presque…

(à suivre)

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