450 Kilomètres à pied ça use, ça use… (Cinquième partie)

Je suis arrivé à Karesuvuanto. Dernier arrêt avant Kilpisjärvi et la frontière norvégienne. Je sais que si j’arrive à atteindre le lac avant la fermeture du K-Market local, j’aurais toutes les chances de me faire prendre. Il est aux alentours de midi. Je me donne 4 petites heures pour effectuer les derniers 80 kilomètres du pendant finlandais de mon voyage. J’ai la foi…
Me voici de retour à Karesuvuanto. La dernière fois que j’eus la chance de dériver jusqu’à ce village, le soleil frappait sans merci et les moustiques festoyaient sur ma pauvre carcasse. On était en juillet, les touristes étaient nombreux et occupaient les berges des multiples lacs et cours d’eaux de la région. Je m’en souviens bien car j’avais alors dû me lancer dans une longue et rude marche le long de l’autoroute désertée avant qu’une bande d’étudiants finlandais venus du grand sud ne me prennent en pitié et m’amènent jusqu’au Kilpisjärvi.

En tout logique, je m’attendais à faire l’expérience de difficultés bien plus incapacitantes pour avoir l’audace de me lancer dans une entreprise similaire en pleine saison morte, l’absence des moustiques demeurant tout de même un avantage appréciable. Après un rapide passage dans le magasin local et avoir zieuté sur ce qui constitue peut-être le seul stand de films X de toute la Laponie intérieure je reprends la route, peu confiant.

Le sac sur le dos, le bonnet sur le scalp et le panneau dans la paluche je suis la route, longeant la frontière suédoise. Je peux entendre quelques mots dans le langage de Runeberg en dehors de la station-service tandis qu’un hélicoptère effectue une série de vols circulaires à une altitude critiquement basse. Sur le moment je ne pense pas à lever le pouce même si l’idée de traverser les derniers kilomètres du voyage à bord d’un tel engin me titille l’esprit.

Je préfère plutôt me concentrer sur la route. Après une petite élévation au-delà des limites du village, j’arrive enfin en vue des montagnes au loin, couvertes de brume, et de l’immense plaine glacée qui nous sépare. Une voiture passe et ne s’arrête bien évidement pas. Je continue sur quelques centaines de mètres de plus, m’enfonçant dans la plaine. Une autre voiture passe, je lève le pouce, celle-ci s’arrête… en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, je suis happé par les occupants du véhicule et me vois offert une course… M..de, c’est presque trop facile…

Sixième course, Karesuvuanto-Tromsø, 200 kilomètres (The Norwegian all-stars)

Pour une fois, quelque chose se passe comme je l’avais prévu. Je savais que les Norvégiens, poussés par un prix de l’alcool ultra-prohibitif ont l’habitude de passer la frontière pour s’alimenter en spiritueux divers. Si en Norvège du sud le choix principal reste la Suède, en Troms et au Finnmark c’est la Finlande qui reste la destination de choix de tous les soiffards. Ayant une connaissance aigue de la région, je n’ignorais pas que l’Alko le plus proche pour les Tromsøites est celui de Hetta à Enontekiö. En arrivant à Karesuvuanto j’étais sûr de tomber, à un moment ou un autre, sur une bande de Norvégiens en maraude qui me prendraient bien en pitié.

Je ne m’attendais cependant pas à me voir proposer une course de plus de 200 kilomètres jusqu’à Tromsø même, mais il semblerait que mon génie protecteur ait enfin décidé de me donner un petit coup de pouce en envoyant ces deux Norvégiens grisonnants tout droit venus de Kirkenes et ayant à faire à Tromsø. Comme je le pensais, je dois batailler avec les bouteilles pour me tailler une place à l’arrière. J’aperçois plusieurs bouteilles de vin, des flasques d’alcool fort et plusieurs 24-packs de bière Karhu, la meilleure bière du pays des mille lacs à en croire l’expérimenté palais de mes hôtes.

Nous parlons assez peu durant les deux heures du voyage. Je retiens en revanche cette adorable saillie du conducteur; « Tu sais, c’est bien que tu sois là parce qu’on a acheté un peu trop d’alcool pour passer la frontière mais avec toi à bord on retombe dans la légalité. »

Je passe autrement la plupart du temps à regarder dehors. Le paysage au nord de Karesuvuanto est d’une affolante désolation. Rien d’autre que quelques saules nains dont les troncs expriment toute la souffrance qu’ils doivent subir pour croître dans cette lande désertique… Après quelques kilomètres, nous arrivons au Kilpisjärvi. Voir enfin de réelles montagnes me donne du baume au cœur et la vision paisible du lac gelé me signale enfin le passage tant attendu. Au-delà des monts, sur les côtes du Galgojävri, je passe enfin la frontière et un sentiment d’achèvement m’envahit. J’y suis enfin, de retour dans ma Norvège adorée. Nous dépassons rapidement la vallée percée de rivières et arrivons enfin dans la SkibotnDalen. La large vallée menant droit au Storfjord. Ses pics aux coupes dramatiques et ses sombres forêts de pins en recouvrent les pentes. Pas de doute, nous ne sommes plus en Finlande. Après quelques minutes, nous reprenons la route vers le nord et bientôt la face sud du Tromsdalstind fait son apparition. Je suis extatique. Quand l’île fait son apparition après avoir passé Balsjord, ce sentiment est décuplé. Nous passons le pont, entrons dans la ville. Mes hôtes me déposent non loin de la courbe d’Aumegården, là où les marchands du 18ème siècle déchargeaient leurs cargaisons. La portière s’ouvre. Je pose pied à terre. La brise marine me salue. J ‘hume l’odeur du sel.

Je suis arrivé.

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Une réflexion au sujet de “450 Kilomètres à pied ça use, ça use… (Cinquième partie)

  1. lucie

    contente que tu sois arrivé sain et sauf! quel périple! ca, ca t’en fais des souvenirs de voyage!et bien raconté en plus! bises.