Christiania : en route vers la normalisation

Alors qu’une ultime décision de justice aura, en février de cette année, confirmé une bonne fois pour toute l’illégalité de la fameuse ville libre de Copenhague, les habitants du plus grand squat d’Europe ont finalement décidé de se lancer dans une campagne de normalisation de leur communauté en exprimant leur désir d’acquérir légalement le terrain qu’ils occupent depuis maintenant 40 ans.

Depuis le jugement rendu par la Cour suprême du royaume le 18 février dernier, on n’avait guère entendu grand-chose de la communauté anarchiste danoise. En théorie, après avoir clairement été désignés comme squatteurs illégaux, les habitants de Christiania auraient pu être éjectés manu militari de leur foyer sans que l’Etat danois ait à concilier plus que ça.

Dans un mouvement de dialogue à l’esprit tout à fait scandinave, le ministère de la Défense aura préféré proposer aux habitants squatteurs un marché ; les habitants peuvent éviter l’éviction à condition qu’ils, individuellement ou collectivement, décident de racheter leurs demeures. Sans quoi l’Etat a déclaré vouloir y instaurer à la place un tout nouveau complexe de logements publics. Si le prix réel des quelque 40 hectares de terrain actuellement occupés par les Christianites reste difficile à établir, le prix semble aujourd’hui être fixé à 150 millions de couronnes danoises, soit quelque 20 millions d’euros que devront rassembler les 850 habitants pour pouvoir donner un semblant de continuité à leur communauté quadragénaire.

Cette décision aura été rendue publique après que, mercredi dernier, les Christianites aient bloqué l’accès de leur enclave en montants de hautes barricades à toutes les entrées de la ville libre. Un flyer distribué aux perplexes passants et autres touristes déçus lisait « Nous fermons pour éviter la fermeture »; le but de la manœuvre étant de donner aux habitants un temps de réflexion et d’alerter l’opinion publique par un coup médiatique.

Cette action aura donc porté ses fruits, alors que, trois jours après la fermeture, le conseil des habitants de Christiania acceptait officiellement l’idée de racheter leur terrain, une foule joyeuse de plusieurs centaines de manifestants ouvrirent une brèche dans le mur de barricade et entrèrent dans la ville libre ré-ouverte dans une euphorie non dissimulée.

Si les habitants de la commune ont, de principe accepté le plan de normalisation proposé par l’État, de nombreux clivages devront être réglés avant même que les Christianites ne commencent la collecte de fonds (qui devrait en grande partie venir de prêts) pour la ré-acquisition de leur communauté. La principale source de discorde entre Christiania et l’État est à trouver dans le statut des nombreuses habitations illégales construites au fil des ans sur la forteresse du XVIIème siècle. L’État, soulignant le caractère historique du site a appelé à de nombreuses reprises à leur destruction tandis que les responsables de la commune s’y opposent. Une partie non négligeable de Christianites habitent en effet ces habitations illégales et les priver de leur demeure ne serait pas sans poser de sérieux problèmes tout autant logistiques qu’identitaires. Les autres points de discorde tels que la possibilité pour les résidents de barrer la route à l’installation d’individus ne supportant pas l’idéologie libertaire de la communauté sont liés à la fondation idéologique de Christiania et soulèvent une importante question. Même si les habitants parviennent à reprendre possession de leur cité, ceux-ci pourront-ils conserver la nature anarchiste qui faisait et fait encore de la ville libre une expérience sociale unique en Europe ?