Jeune artiste norvégienne s’exprimant en langue saamie, Elin Kåven est une des toutes dernières sensations de la petite scène saamie. Ayant à son compte un album presque universellement acclamé par la presse spécialisée et des dizaines de concerts sur le vieux continent, elle fait part au Francofil’ de ses projets artistiques futurs le temps d’une interview au Café Cora de Tromsø.
Bonjour Elin, pourrais-tu commencer par te présenter en quelques mots aux lecteurs du Francofil’ ?
Je suis une artiste saamie et danseuse fusion. J’ai sorti mon premier album en décembre 2009 et un nouveau single en février 2011. J’ai également été élue artiste saamie de l’année pour la région de Finnmark.
Tu es avant tout une chanteuse et une musicienne, comment pourrais-tu décrire ta musique ?
C’est vraiment difficile de la décrire soi-même parce qu’on pourrait dire… certains diront qu’il s’agit de musique Folk alternative ou de la Pop. J’y apporte des éléments qui vont du Jazz aux Musiques du monde. C’est une forme d’expression très moderne, mais je fais usage d’éléments traditionnels saamis et tous mes textes sont en saami.
Pourquoi avoir choisi d’écrire tes textes et de chanter en saami ?
J’aime les deux langues, le norvégien et le saami et quand j’étais plus jeune tous les textes que j’aimais étaient en anglais. J’ai donc commencé à écrire des paroles en anglais. Mais quand j’ai quitté le Sàpmi (le pays saami en langue traditionnelle) et après quelque chose comme 6 ou 7 ans loin de chez moi, j’ai réalisé à la fois que j’aimais la langue et que je la perdais. Écrire des textes en saami fut une réaction vis-à-vis de ça.
Comment se passe le processus musical. Écris-tu d’abord les textes ou la musique, sur quel support ?
J’écris généralement les textes, l’inspiration la plus importante, je la reçois quand je marche dans la nature. Je dois sortir et m’échapper de la ville. Je fonctionne beaucoup au niveau affectif, c’est très facile pour moi d’écrire des textes. Je vais dans la nature et elle m’aide en quelque sorte… J’écris la mélodie de manière plus ou moins indépendante et essaie de faire un lien entre la musique et les paroles. Je la chante ensuite dans un enregistreur et le passe à mon producteur qui, avec l’aide des musiciens de session, feront le reste.
Tu as fait appel à de nombreux musiciens de session. Où es-tu allée les dénicher ?
Quand j’ai rencontré mon producteur (Ole Jørn Myklebust, qui a notamment travaillé avec Mari Boine). Il connait beaucoup de monde et de musiciens. C’est pourquoi il a choisi ceux qui correspondaient le mieux à mon projet. J’ai commencé avec des musiciens dans mon village avec qui je jouais avant l’album. C’est là que j’ai commencé !
As-tu des influences particulières au niveau musical, des idoles que tu révérerais ?
J’ai toujours écouté énormément de Pop alternative et de Rock. A Perfect Circle est un de mes groupes favoris avec The Gathering. Pendant très longtemps je n’écoutais pas beaucoup de musique et n’avais pas d’idole vers laquelle je pouvais me tourner. Après cela, j’ai trouvé la motivation pour trouver des artistes que je pourrais estimer. Et j’ai trouvé Fiona Apple, qui aime changer de style, un peu comme moi. En grandissant, je n’avais pas beaucoup d’artistes saamis vers lesquels me projeter, c’est une des raisons pour laquelle je ne voulais pas vraiment chanter en saami. Mais il y avait quand même Mari Boine qui jouait des chansons pour enfants à la bibliothèque de Karasjok. Ça m’a inspiré, je voulais être comme elle, jouer et chanter en même temps, c’était impressionnant !
L’an dernier tu as gagné le concours de la chanson saamie de Kautokeino, qu’est-ce que ça t’aura apporté ?
Je ne savais pas qu’il était regardé par autant de monde, c’était plus important que je ne le pensais car je n’aime pas vraiment les concours de chanson. Ça s’est très bien passé malgré tout et pas mal de gens se sont mis à me reconnaître après donc oui, très bonnes « Relations Publiques » (le terme originellement utilisé par Elin; « PR » abréviation de « Public Relations ») pour se montrer et permettre aux gens de me connaître.
Quelle est ton opinion sur le chant saami traditionnel, le Yoik ?
Je ne dirais pas que je Yoike de façon traditionnelle. Je n’entrerai jamais dans le concours de Yoik (aux côtés du concours de la chanson saami, un concours de chant saami traditionnel prend également place). Je ne pense pas qu’il soit de ma responsabilité de montrer le Yoik traditionnel du fait que mon art tient plus du mélange de l’ancien et du nouveau. Il y a également beaucoup qui chantent de manière traditionnelle.
Tu te décris toi-même comme une artiste Fusion, d’où vient ce terme et que désigne-t-il ?
Le terme ne vient pas uniquement de la musique mais également de la danse car je suis aussi une danseuse de danse du ventre tribale-fusion. Je suis artiste et professeur, ayant enseigné 5 ans en Scandinavie et en Angleterre. Toute ma formation, je l’ai reçue de l’étranger. Je participe à différents ateliers à chaque fois que j’ai du temps. J’ai commencé à enseigner en 2006 quand je suis retournée en Norvège.
Pour ceux n’ayant aucune connaissance de la danse fusion moderne, pourrais-tu expliquer en quoi consiste la danse du ventre fusion tribale ?
La danse du ventre tribale-fusion est une sorte de danse moderne mélangeant diverses danses folkloriques du monde entier avec d’autres danses modernes (Jazz-Hip-Hop). Nous ne sommes que 3 danseurs de ce style en Norvège.
Tu exprimes ton art à travers la danse et le chant, que veux-tu exprimer avec l’une ? Ce que tu ne peux pas exprimer avec l’autre ?
Pour moi la danse et le chant se renforcent l’une et l’autre sur scène. Elles travaillent toutes les deux pour créer une impression plus forte. Elles sont toutes les deux des formes créatives, elles sont juste deux formes d’expression différentes. La question est plus de savoir envers quoi le public est plus ouvert, il pourrait être plus touché par une de ces formes que par l’autre. Ça ne sera que sa réception qui différera.
Ne t’es-tu jamais inspirée de quelconques traditions de danse saamie ?
Le peuple saami n’a de fait pas vraiment eu une tradition de danse, c’est la raison pour laquelle j’ai pensé que ça serait OK pour moi si j’apportais cette tradition de danse du ventre à ma musique, parce que je n’avais pas de matériel sur lequel me baser. Ola Stinnerbom est le seul qui ait réellement fait des recherches au sujet de la danse saamie.
Sur ton site internet tu te décris également comme designer qu’est-ce que cela englobe ?
J’ai étudié le design d’intérieur et la décoration. C’était vers cette branche que je m’étais orientée. J’essaie de relier de plus en plus le côté visuel et le côté musical. Je travaille dessus afin de créer une forme artistique globale pour donner à mes auditeurs une impression de Sápmi.
Tu as également publié une vidéo promotionnelle pour ton nouveau single « Lihkku Niehku/Rêve de Fortune ».
Quel est le symbolisme derrière ce clip ?
Dans la vidéo, je suis en quelque sorte la créature que j’essaie d’être sur scène. Comme une sorte de fée mais avec un côté plus sombre, qui peut soigner mais également faire d’autres choses. Dans la vidéo j’amène ce musher à me faire confiance avant de le piéger et le transformer en mon loup de compagnie pour qu’il me serve éternellement. Il y a aussi un Shaman dans le film qui lui donne une amulette pour le protéger bien que cela soit inutile. J’avais une très bonne idée de mon rôle dans la vidéo, une créature cachée de la Toundra. La vidéo fut dévoilée lors de la Finnmarksløpet (la plus grande course de chiens de traineau d’Europe qui a lieu tous les ans en mars) et faisait partie du large programme culturel qui lui était attachée lors de cette édition avec notamment des concerts en plein air et ce genre de choses.
Que peux-tu nous révéler sur le single en tant que tel ?
Je travaille sur un nouvel album, quand j’aurai assez de fonds je le sortirai. Le single sera sur l’album. Ce dernier a été présenté au public lors du festival/séminaire By :Larm où j’ai reçu pas mal de bons retours et pu être bookée pour un grand nombre d’évènements c’était donc assez positif. Le single en lui-même est à propos du bonheur, de se laisser aller à être heureux et d’en saisir la chance.
Quels sont tes plans dans un futur immédiat ?
La première chose est mon nouvel album, il sera appelé «La Fée Arctique». C’est en quelque sorte mon projet de vie que de donner l’impression aux gens de se trouver en Sàpmi. Ou tout du moins dans le Sápmi comme je me le représente. Je suis également en collaboration avec des danseurs de danse Tribale-Fusion de Scandinavie pour créer une sorte de groupe de danse nordique. Je travaillerai sur la chorégraphie, la musique, le DVD, le spectacle…
Où te situerais-tu au niveau de la scène musicale saamie et norvégienne ?
La scène musicale saamie est très petite et avide de se faire voir. C’est plus simple d’ «y arriver » sur la scène saamie vu qu’elle est petite, intime, locale… Pour moi, le mauvais côté est que les traditions sont plus fortes, particulièrement parmi les plus anciens. Ils réagiraient si je faisais des choses qui ne sont pas ordinaires à leurs yeux. Ils sont très conservateurs. Pour ce qui est de la scène Norvégienne mon genre de musique n’est pas très important. La scène Rock est importante mais pas tellement la scène Folk. En un sens, pour les Norvégiens, les Saamis ne sont pas assez « exotiques » mais ceux-là ne peuvent pas vraiment s’y identifier c’est donc difficile de se produire pour ce genre d’audience.
On arrive à la fin de l’interview, y-a-t-il une dernière chose dont tu aimerais parler ?
Mon arrière-arrière-grand-père, Johan Kåven était le shaman le plus connu de Sápmi et un grand nombre d’ouvrages parlent de lui. Je veux incorporer plus de ce genre d’éléments mythiques de la religion saamie dans mon art. Peut-être ai-je hérité de certains de ses pouvoirs, qui sait ?